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Bleu, vert, gris : les couleurs de l’hydrogène

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Présenté depuis plusieurs mois comme une piste miracle dans le secteur de l’énergie, l’hydrogène est une molécule qui semble prometteuse. Néanmoins, dans les médias, sur les réseaux sociaux, on note que l’hydrogène peut être « bleu », « vert », « gris », ou « jaune ». Même pour un spécialiste du secteur, il n’est pas toujours évident de s’y retrouver dans ce déversement de couleurs.

Que représentent ces couleurs ? Sont-elles associées à des puretés d’hydrogène différentes ou des applications distinctes ? Existe-t-il donc plusieurs « types » d’hydrogène ? Je vous propose de faire rapidement le point sur la question.  

Note : cet article sera complété dans les prochains jours par un dossier complet sur les applications de l’hydrogène.  Pour information, l’Université de Liège s’est également positionnée sur la production d’hydrogène dont un article de référence est disponible ici.

L’hydrogène n’est pas une énergie en soi. C’est plutôt un vecteur énergétique, au même titre que l’électricité ou la chaleur. L’hydrogène (H2) n’existe pas abondamment à l’état naturel et il est nécessaire de le synthétiser au départ d’une matière première.

Actuellement, cette matière première est majoritairement du gaz naturel (pour plus de 50%) suivie par les hydrocarbures (issus du pétrole) pour près de 30%. Le reste de la production repose sur l’usage de charbon (de moins en moins exploité) ou de biométhane (issu des unités de biométhanisation).

La conversion de ces matières premières en hydrogène requiert également de l’énergie. Cette énergie est aujourd’hui tirée à plus de 95% des énergies fossiles.

La conversion du gaz naturel en hydrogène repose sur un procédé connu sous le nom de réformage à la vapeur (souvent mentionné sous l’abréviation SMR – Steam Methane Reforming). Ce réformage à la vapeur consiste à faire réagir du méthane (contenu dans le gaz naturel) en présence de vapeur d’eau, à hautes pression et température (aux environs de 700-1000°C), en présence de catalyseurs. Le SMR est la technique de production la plus répandue pour la synthèse d’hydrogène. Elle représente un coût estimé à 1,5 euros/kg. Énergivore, le SMR émet énormément de dioxyde de carbone, généralement émis dans l’atmosphère. On estime ainsi que pour une tonne d’hydrogène produite, entre 10 et 11 tonnes de CO2 sont émises.

L’hydrogène produit à partir de gaz naturel par ce procédé de SMR (avec émissions de CO2) alimenté par des énergies fossiles est qualifié d’hydrogène gris. (Figure 1) Cet hydrogène gris est celui qui est dominant sur le marché. C’est celui qui est produit à un stade industriel et en grande quantité. Chaque année près de 70 à 80 millions de tonnes de cet hydrogène gris sont produites, dont la principale application reste le secteur de la chimie industrielle. Plus de 80% de la production mondiale d’hydrogène est en effet exploitée pour permettre la synthèse de l’ammoniac et de ses dérivés (pour l’agriculture) ou pour réaliser des opérations de raffinage du pétrole (dont la désulfuration des fractions destinées à des applications comme carburants). Les États-Unis et la Chine sont les deux plus grands fournisseurs mondiaux d’hydrogène, loin devant des pays comme la France par exemple (1,5% de la production mondiale).

Figure 1. Visualisation des 3 voies de production d’hydrogène (H2) et de leur dénomination par une couleur spécifique.

L’hydrogène peut également être produit au départ de charbon, ou de biomasse (matières végétales et déchets organiques) en incluant une étape supplémentaire dite de gazéification. Cette gazéification, qui s’opère aussi à très hautes températures, permet de produite un gaz de synthèse (mélange de monoxyde de carbone CO et d’hydrogène). Cette étape est aussi hautement énergivore.

Les voies de production actuelle d’hydrogène étant donc émettrices de gaz à effet de serre, de grands enjeux existent pour décarboner au maximum cette production. Pour ce faire, diverses options sont envisagées, avec des niveaux de maturité technologique différentes. Une première stratégie consiste à capter le dioxyde de carbone formé pendant le SMR et soit de le réutiliser comme matière première dans certaines entreprises, notamment chimiques, soit de le stocker géologiquement dans d’anciennes « poches » de gaz naturel ou de pétrole vides. C’est ce qu’on appelle la séquestration géologique (aussi appelée en anglais, carbon capture and storage ou CCS).

L’hydrogène produit par cette approche qui émet moins de gaz à effet de serre est alors appelé « hydrogène bleu ». Bien évidemment, les solutions de captage de CO2 ont un coût qui n’est pas négligeable (tant économique qu’énergétique) et seuls quelques productions au stade pilote uniquement sont donc recensées dans le monde.

Une autre option pour permettre la production décarbonée d’hydrogène est d’exploiter une matière première différente, à savoir l’eau, et de la convertir dans de grands électrolyseurs, alimentés par du courant électrique, en H2 et oxygène (O2) qui retourne dans l’atmosphère. Si l’électricité utilisée pour alimenter les électrolyseurs est 100% issues d’énergies renouvelables (panneaux photovoltaïques, éoliennes, etc.) alors on qualifiera l’hydrogène de vert. Si les électrolyseurs sont alimentés par contre en tout ou en partie par de l’énergie nucléaire, on parlera alors d’hydrogène jaune.

En conclusion :

La couleur associée à l’hydrogène dépend de sa méthode de production dans son ensemble.

A ce jour, plus de 95% de la production mondiale d’hydrogène repose sur des énergies fossiles, avec des émissions de gaz à effet de serre. Cet hydrogène gris est le plus économique.

Le captage des gaz à effet de serre permet de produire un hydrogène bleu, plus cher.

Si la production est assurée à partir uniquement renouvelable, l’hydrogène devient vert. Il est encore près de 5 fois plus cher que l’hydrogène gris.

Les couleurs associées à l’hydrogène sont celles utilisées par la presse, le monde socio-économique et certaines industries. Le monde académique et scientifique ne fait nullement référence à ces notions de couleur ; l’hydrogène, qu’il soit produit à partir de gaz naturel, de biomasse, d’eau et avec un apport en énergies fossiles ou renouvelables, reste la seule et même molécule.

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