La chimie passe au vert

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Chimie verte – révolution ou lente évolution ?

Exploiter des matières (végétales) renouvelables, s’affranchir de solvants, limiter la pollution. Voilà ce que demande la « chimie verte » et voilà autant de défis auxquels se confrontent les chimistes d’aujourd’hui. Pourtant la chimie verte n’est pas une rupture vis-à-vis des pratiques existantes. C’est peut être juste un bel outil de communication.

C’est l’histoire des oiseaux qui s’arrêtèrent de chanter au printemps. Ce n’est pas un conte ni un film de science fiction, c’est un fait avéré que décrit Rachel Carson, une biologiste de formation dans son livre « Silent Spring » paru dans les années 60. Dans ce livre, Rachel Carson met en évidence les effets néfastes des pesticides synthétisés par l’industrie chimique sur l’environnement et particulièrement sur les oiseaux chanteurs dont le taux de mortalité ne cessait d’augmenter. Ce livre a eu un impact considérable puisqu’il mena au début de la compréhension des liens pouvant exister entre l’homme, ses activités et son environnement.

Quand on parle d’activités de l’homme, la chimie – que ce soit l’industrie chimique ou les produits qu’elle délivre – est souvent montrée du doigt. On la désigne à tort ou à raison comme une source de pollution, de rejets, de toxicité pour l’environnement ou pour l’homme. On parle de plastiques qui polluent les océans ou de particules fines toxiques que nous respirons. Entre faits avérés ou méconnaissance, le grand public fait souvent preuve de défiance vis-à-vis de la chimie en général.

Pourtant, nous les chimistes du 21èmesiècle avons fortement repensé la manière dont nous pratiquons la chimie. Nous avons amené de nouveaux concepts, de nouvelles solutions technologiques plus respectueuses de l’environnement. Nous prenons conscience de la notion de durabilité à intégrer dans nos activités de synthèse ou de production mais aussi dans les produits que nous concevons.

Mais revenons en arrière, dans les années 60, au moment de la parution du livre de Rachel Carson. Cet ouvrage et l’impact socio-politique qu’il a généré a permis l’interdiction une dizaine d’années plus tard du DDT, un pesticide chimique chloré qui était massivement employé depuis la seconde guerre mondiale. C’est toujours dans cette vague de prise de conscience collective que l’Agence Américaine de Protection de l’Environnement va voir le jour dans les années 70. Son rôle est ambitieux puisqu’elle doit se pencher sur des mesures visant à protéger la santé humaine et à préserver la qualité des éléments naturels tels que l’air, l’eau et la terre. Cette agence américaine ne vous est peut être pas familière mais c’est elle qui a reconnu notamment le dioxyde de carbone comme contaminant chimique atmosphérique. Avec cinq autres substances chimiques, le dioxyde de carbone a ainsi catalogué parmi les gaz à effet de serre, identifiés comme étant de facteurs participant au réchauffement climatique. C’est toujours cette même agence américaine qui va développer dans les années 90 une nouvelle philosophie pour la chimie. Cette nouvelle philosophie, c’est ce qu’on appelle la chimie verte.

Cette chimie verte se présente sous la forme d’un guide de bonnes pratiques à destination des chercheurs ou des industriels. Elle s’articule autour de 12 principes fondateurs dont l’objectif ultime est de prévenir et réduire la pollution et la toxicité qui pourraient être générées par un produit chimique ou lors d’une activité chimique. Parmi ces 12 principes, on apprend à réduire l’usage des solvants organiques ou de certains additifs dans les schémas de production. On est sensibilisé au suivi de la pollution en temps réel pour éviter l’émission de gaz à effet de serre ou de molécules problématiques pour l’environnement. On nous invite à prévenir la pollution plutôt que de la gérer à la fin d’un procédé de production. On nous dicte aussi la nécessité de maitriser l’efficacité des réactions en augmentant les vitesses de réactions et minimiser la formation d’impuretés.

Les chimistes sont donc conscientisés à l’importance de faire des choix stratégiques et éthiques dès la conception de leurs réactions pour le bénéfice de la société et de l’environnement.

Il faut cependant mentionner que la majorité de ces 12 principes ne sont curieusement pas propres à la chimie verte puisque la plupart des progrès du 20èmesiècle sont déjà basés sur ce type d’approche qui allie amélioration des procédés et gestion des impacts environnementaux. La chimie verte n’est donc pas à ce stade une chimie de rupture qui a pour vocation de modifier considérablement les trajectoires technologiques mais elle a plutôt pour but d’amplifier et approfondir certaines pratiques existantes.

Un des 12 principes va cependant progressivement prendre une importance marquante au fil du temps aux yeux de la communauté scientifique et du monde industriel. Ce principe c’est celui qui est axé sur l’usage des matières premières renouvelables, c’est à dire de la biomasse en remplacement des ressources fossiles dans nos schémas de production. Définir une nouvelle chimie intégrant le végétal devient ainsi à l’heure actuelle un enjeu et une quête d’innovation soutenue par le monde économique, politique et industriel.

La conversion du végétal en nouveaux produits chimiques, en nouveaux carburants ou en énergie est connue sous les termes de « valorisation de la biomasse » ou de  « bioraffinage ». Oui mais voilà… Il ne faut pas se laisser berner. Convertir le végétal en nouvelles molécules peut ne pas aussi bénéfique pour l’environnement qu’il n’y paraît. En plus, certaines conversions au départ du végétal restent encore plus onéreuses que celles obtenues au départ de ressources fossiles.

La mission des chimistes est donc aujourd’hui complexe. On leur demande de jongler entre plusieurs questions : comment pratiquer une chimie durable, respectueuse de l’environnement tout en exploitant partiellement ou totalement des ressources renouvelables. Comment se positionner ou devenir compétitifs face aux produits d’origine fossile ?

Le débat est intense et les réponses sont multiples. Il semble cependant que l’innovation soit un gage de succès.

 

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