Le glyphosate ou l’histoire de la molécule la plus controversée de la chimie

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Le glyphosate est longtemps resté l’herbicide total le plus exploité dans le monde, avant d’être soumis à des interdictions d’utilisation. Associé au produit commercial vendu sous le nom de Roundup®, le grand public a ainsi pris connaissance de la dangerosité de la molécule de glyphosate et de ces effets cancérigènes potentiels.

 Le glyphosate est ainsi devenu au fil des ans, le sujet de débat non pas tant dans les laboratoires et agences environnementales, mais plutôt sur les réseaux sociaux où il est progressivement devenu un argument de débat « politique ».

Pour le non-spécialiste, le glyphosate est donc assimilé à un produit dangereux, à bannir absolument. Le glyphosate est pourtant une molécule synthétisée en s’inspirant d’une molécule naturelle.

Comment le glyphosate est devenu la molécule la plus crainte de la chimie moderne ? Quelles sont ses propriétés, son incidence tant sur l’homme que sur les écosystèmes ? Et si je vous expliquais l’histoire du glyphosate de manière simple…. C’est le pari de l’article que je vous propose aujourd’hui.

Note préliminaire : ce texte n’a pas pour ambition d’offrir une analyse exhaustive sur le glyphosate. Il a plutôt pour vocation de résumer de manière simple et accessible pour tous ce qui est entendu sous le vocable de glyphosate, de même que sur ses impacts sanitaires et environnementaux et ses enjeux économiques. La rédaction de cet article a été basée sur des articles de la littérature scientifique. Les sites commerciaux, d’industries manufacturières, de lobbying, de promotion ou de lutte contre le glyphosate ont volontairement été soustraits de la recherche.

Préambule

Le glyphosate est une molécule de synthèse produite pour la première fois dans les années 50. Inspirée de la glycine (une molécule naturelle, acide aminé constitutif des protéines, Figure 1a), le glyphosate présente un groupement supplémentaire phosphoré (de type phosphonate) (Figure 1b). Le terme glyphosate est donc une contraction du mot « glycine » et « phosphonate».

Le glyphosate se présente à température ambiante sous la forme d’un solide blanc. Le grade technique du glyphosate correspond, selon des normes décrites par la FAO, à une pureté minimale de 95%.[1] En pratique, cela revient à dire que le glyphosate exploité en agriculture ne peut présenter plus de 5% d’impuretés, qui sont généralement des résidus de réactifs provenant de la synthèse du glyphosate, identifiées comme agents carcinogènes.[2]

Le glyphosate, de son nom IUPAC complet N-(phosphonométhylglycine), est l’herbicide non sélectif et à large spectre qui a pendant longtemps été le plus utilisé au monde.[3] La formulation commerciale la plus connue du glyphosate est le Roundup®, produit par Monsanto et commercialisé depuis 1975, et qui consiste en un mélange, dans un large volume d’eau, d’un sel de glyphosate (sel d’isopropylamine) (Figure 1c) et d’un tensioactif (polyoxoéthylène amine) qui accroit son efficacité. Si les débats qui alimentent le domaine public font souvent mention de « glyphosate », il est ainsi important de souligner que les dérivés de cette molécule (ses sels) sont ainsi englobés dans la discussion et sous le vocable générique de glyphosate.

Figure 1. Structure chimique de la glycine (a), du glyphosate (b) et de son sel d’isopropylamine (c).

En 2010, outre le Roundup®, on dénombrait sur le marché plus de 750 produits contenant du glyphosate, avec ou sans additifs, vendus sous des noms commerciaux distincts. La problématique du glyphosate ne se limite donc pas au Roundup® et à Monsanto, mais concerne une gamme plus large de produits commerciaux et de sociétés productrices ; le brevet concernant la production et l’usage du glyphosate à des fins agricoles, déposé par Monsanto étant tombé dans le domaine public en 2000.

1.Usages et marchés

C’est en 1950 que le glyphosate a est synthétisé pour la première fois par un chimiste suisse (Dr Henri Martin) employé de la société Cilag AG, actuelle filiale du géant pharmaceutique américain Johnson & Johnson.[4] Comme aucune application pharmaceutique n’a été identifiée, la molécule a été vendue à d’autres sociétés et des échantillons ont ainsi été testés pour un certain nombre d’utilisations finales possibles. Il fut ainsi découvert, fin des années 50, l’aptitude du glyphosate à chélater des éléments comme le calcium et le magnésium, et le glyphosate a alors été commercialisé comme agent détartrant pour les canalisations. C’est en 1970, soit un peu moins de vingt ans plus tard, que John Franz, chimiste employé de Monsanto, identifie l’activité herbicide du glyphosate et une formulation du produit final est commercialisée en 1974.

Pendant plus de deux décennies, le glyphosate est resté l’un des herbicides les plus exploités au monde. Il est classé comme un herbicide systémique, non sélectif, de post-levée, capable de tuer les mauvaises herbes qui ont un feuillage vert. L’utilisation sur des cultures tolérantes aux herbicides, dans des applications sans travail du sol, et l’utilisation sur des cultures pérennes constituent les principales applications agricoles de l’herbicide, tandis qu’il est également utilisé dans des opérations non agricoles telles que le désherbage à domicile, industriel ou municipal.

Pointé du doigt depuis plus de 10 ans tant d’un point de vue toxicologique qu’environnemental, le glyphosate reste un produit de choix avec un marché qui ne cesse de croitre. Pour la période prévisionnelle 2019-2024, le marché mondial du glyphosate devrait atteindre 12,54 milliards de dollars d’ici 2024, avec un TCAC de +6,8 %. Le marché du glyphosate ne ralentit donc pas, en raison notamment du manque de disponibilité de solutions de rechange efficaces au glyphosate[5] Entre 2019 et 2024, il est attendu que la croissance de marché soit la plus rapide en Amérique du Nord. Le marché le plus grand pour le glyphosate est quant à lui attendu sur la région Asie Pacifique. L’Europe reste quant à elle un marché faible pour le glyphosate avec des ventes (à destination du secteur agricole uniquement) qui représentaient seulement 7% de la production mondiale en 2014.

En 2017, la capacité mondiale de production de glyphosate se concentrait, en partie, en Chine (et en Inde). La production mondiale atteignait ainsi 1.065.000 tonnes dont 380.000 tonnes issues de Monsanto et 685.000 tonnes venant d’entreprises situées en Chine.[6] En 2019, on notait cinq acteurs majeurs dans le marché de la formulation d’herbicides à base de glyphosate à savoir Bayer Cropscience AG, Adama Agricultural Solutions Ltd, Nufarm Limited, Excel Crop Care Limited et UPL Limited. Bayer Cropscience AG, qui est membre du Groupe européen de renouvellement du glyphosate (GRG), a ainsi soumis en juin 2020 aux autorités le dossier de réenregistrement pour l’autorisation du glyphosate dans l’Union européenne (Assessment Group on Glyphosate). L’autorisation actuelle étant effective jusqu’en 2022.[7]

L’utilisation de glyphosate pour le secteur agricole a augmenté de manière substantielle depuis 1974. On estime ainsi qu’aux États-Unis uniquement, plus de 1,6 milliard de kilogrammes de glyphosate actif ont été appliqués, soit 19 % de l’utilisation mondiale estimée de glyphosate (8,6 milliards de kilogrammes). Au niveau mondial, l’utilisation du glyphosate a été multipliée par près de 10 depuis la moitié des années 90 passant ainsi de près de 56.296 tonnes d’ingrédient actif en 1994 à plus de 578.124 tonnes en 2010.[8]  Les deux tiers du volume total de glyphosate appliqué aux États-Unis entre 1974 et 2014 ont été pulvérisés au cours des dix dernières années seulement. La part correspondante au niveau mondial est de 72 %. En 2014, les agriculteurs ont pulvérisé suffisamment de glyphosate pour appliquer ~1,0 kg/ha sur chaque hectare de terre cultivée aux États-Unis et près de 0,53 kg/ha sur l’ensemble des terres cultivées dans le monde. Si des données chiffrées sont accessibles, notamment aux États-Unis, aucune évaluation des volumes de glyphosate vendus en Europe n’a été réalisée au cours des 30 dernières années.

Cette augmentation dans la demande en glyphosate au niveau mondial est à mettre en relation avec différents facteurs dont, notamment, la commercialisation depuis la moitié des années 90 de variétés de culture tolérantes au glyphosate (pas en Europe), et l’augmentation des surfaces cultivables traitées au niveau mondial (associées à une augmentation du nombre d’utilisations autorisées du glyphosate dans différentes cultures).4

2.Mode d’action et usage agronomique

De manière extrêmement simplifiée, on peut dire que le glyphosate interfère, en bloquant une enzyme spécifique, avec la voie du shikimate, une voie métabolique qui produit certains acides aminés spécifiques notamment chez les végétaux.  En inhibant cette enzyme, le shikimate s’accumule dans les tissus de la plante, perturbe les apports en énergie et nutriments et conduit à court terme à une destruction du végétal.

Le glyphosate démontre ainsi un intérêt tant en agriculture qu’en horticulture, viticulture, sylviculture et en maintenance des jardins et espaces verts. Le glyphosate n’est pas utilisé sous sa forme pure. Il est plutôt proposé, en dispersion aqueuse diluée, sous la forme d’un sel (d’ammonium, d’isopropylamine, etc.) en combinaison le plus souvent avec un surfactant. La composition exacte du produit commercial n’est pas souvent communiquée, faisant partie du secret industriel. Seul le glyphosate, désigné sous le terme d’ »ingrédient actif », doit être mentionné sur l’étiquette du produit. Cela signifie qu’il est difficile de savoir exactement ce que contiennent les herbicides contenant du glyphosate qui sont vendus dans le monde.

Le glyphosate est ainsi exploité en agriculture, sur cultures annuelles, pour notamment lutter contre les mauvaises herbes avant le semis ou pour arrêter les cultures précédentes. Le glyphosate est également pulvérisé sur les cultures 1 à 2 semaines après leur récolte pour les assécher ou pour faciliter leur récolte. Cette pratique est appelée dessiccation et est d’usage, entre autres, sur les céréales, le colza, le tournesol. Le glyphosate est également employé dans les vignobles, les vergers et les oliveraies.

En 2017, le glyphosate représentait près de 27% des herbicides employés en Belgique, ce qui équivaut à près de 2334 tonnes de glyphosate « pur » exploité annuellement sur le territoire national. En 2017, cela représentait plus de 17% de la surface totale cultivée en blé d’hiver et plus de 92% des vergers qui étaient traités au glyphosate avec une dose annuelle en principe actif fixée entre 0,72 et 1,08 kg/hectare.8, [9]

Le glyphosate étant un herbicide non sélectif, certaines cultures ont dû être modifiées génétiquement pour en devenir tolérantes. Monsanto développa ainsi les premières plantes OGM « glyphosate-tolérantes » (appelées aussi « Roundup Ready ») dès la moitié des années 90.[10] Ces cultures génétiquement modifiées (incluant le soja, le maïs, le coton, etc.) ont ouvert un nouveau marché pour l’herbicide, dopant par la même occasion ses ventes. En 2012, plus de la moitié des terres cultivées aux États-Unis, soit 65 millions d’hectares, était occupée par des cultures « Roundup Ready » de Monsanto.

3.Le glyphosate : une molécule dangereuse ?

Les effets du glyphosate (à court, moyen ou long terme), tant sur l’environnement que sur les écosystèmes et la santé humaine, sont multiples et parfois interdépendants (Figure 2).

Figure 2. Visualisation simplifiée de l’interdépendance des effets environnementaux et de l’impact sur la santé humaine liés au glyphosate

Qui plus est, évaluer ces effets est encore problématique en raison de deux aspects plus « techniques ». Le premier est lié à la difficulté de détecter et de quantifier sur le plan analytique le glyphosate tant dans l’environnement, que dans l’alimentation ou le corps humain. Le second est lié à la pléthore de publications et d’études sur les effets de toxicité et de cancérogénicité du glyphosate. Des milliers d’articles scientifiques et d’études sont aujourd’hui disponibles, réalisés soient de manière indépendante, soit avec un partenariat industriel, et les conclusions de ces études sont parfois divergentes, reposant sur des approches, des modèles, ou des tests parfois distincts. Rien qu’entre 2010 et 2020, pas moins de 3000 articles ont été publiés dans la littérature scientifiques, soit trois fois plus qu’entre 2000 et 2010.[11]

3.a. Aspects analytiques

Depuis ses premières utilisations dans les années 70, la communauté scientifique s’est heurtée à un problème de taille : détecter la présence du glyphosate dans des milieux naturels, suivre son évolution et évaluer sa toxicité tant sur la faune, la flore que sur l’homme. Même en 2020, des équipes de recherche s’investissent encore dans le développement de méthodes analytiques plus efficientes et adaptées au dosage des résidus des herbicides à base de glyphosate.[12] La problématique est à corréler à deux difficultés intrinsèques. La première est liée à la diversité moléculaire du glyphosate : nous avons en effet mentionné que ce sont plutôt des sels de glyphosate qui sont exploités dans les formulations commerciales. Qui plus est, le glyphosate existe sous des formes ioniques différentes en fonction des conditions de pH. Le glyphosate n’est donc pas aisé à détecter s’agissant de molécules parfois différentes notamment en termes de masse, ou de charge formelle. La seconde complexité dans la quantification du glyphosate dans l’environnement est que cette molécule se décompose (en présence de certains micro-organismes) pour générer de l’AMPA (acide aminométhylphosphonique).[13] Tant le glyphosate que l’AMPA se retrouvent donc dans les sols, les eaux, les plantes, etc. et ces deux molécules présentent une « toxicité analogue ».[14] Ce n’est donc pas tant la quantité et l’effet du glyphosate qu’il faut estimer, c’est aussi la quantité et l’effet de ses produits de décomposition, de même que leur ré-assimilation par les organismes en croissance et leur possible interaction avec des nutriments essentiels (Figure 3).

Figure 3. Schématisation des effets du glyphosate et de ses produits de décomposition sur une plante en croissance.

3.b. Aspects règlementaires

Diverses études ont donc été menées sur le glyphosate et ses produits de décomposition et ont ensuite été examinées par des organisations distinctes dont l’EPA aux États-Unis, l’ECHA et l’EFSA en Europe et le CIRC pour l’OMS. Tandis que l’EPA (Environmental Protection Agency), l’ECHA (Agence européenne des produits chimiques) et l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) n’ont pas considéré le glyphosate comme cancérigène pour l’homme lorsqu’il est utilisé correctement, le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) a quant à lui déclaré en 2015 que le glyphosate était « probablement cancérogène pour l’homme » en se basant sur des résultats d’expérimentations animales et de recherches biochimiques in vitro. [15] En raison des données mécanistiques et des observations in vitro et in vivo, il semble probable que le glyphosate soit un cancérigène faible, également pour l’homme. Le risque que le glyphosate provoque un cancer chez l’homme est probablement très faible, bien qu’il soit difficile de prendre une décision sur la base des informations actuelles.

Ce manque de consensus et cette divergence de conclusions entraina le début des polémiques autour du glyphosate et des débats publics associés. Actuellement, le glyphosate est approuvé dans l’EU jusqu’au 15 décembre 2022.[16] Ceci implique que le glyphosate peut être utilisé comme ingrédient actif dans des formulations phytopharmaceutiques jusqu’à cette date. Bien que l’UE ait approuvé l’utilisation du glyphosate, les États membres peuvent décider si ces formulations peuvent être utilisées sur leur territoire. La Belgique a ainsi interdit dès le 31 décembre 2018 la vente de produits phytosanitaires à base de glyphosate (dont majoritairement le Roundup®) et leur usage non-professionnel uniquement.[17]

En mai 2019, la Commission Européenne a désigné 4 États membres (France, Hongrie, Pays-Bas et Suède), réunis sous le nom de Groupe d’Évaluation du Glyphosate (AGG, Assessment Group on Glyphosate), comme « rapporteurs » pour la prochaine évaluation du glyphosate. En décembre 2019, le Groupe européen de renouvellement du glyphosate (GRG), constitué d’industriels visant à obtenir le renouvellement de l’approbation du glyphosate au sein de l’EU, a introduit une demande de renouvellement à l’AGG, aux États membres de l’EU, à l’EFSA et à la Commission européenne. Cette demande lance officiellement le processus de renouvellement dans l’UE, comme le prévoit le règlement (CE) n° 1107/2009.

Si ces aspects règlementaires sont en lien avec la politique européenne, il est à mentionner que d’autres régions dans le monde n’ont pas émis de doute quant aux effets du glyphosate tant sur l’homme que sur l’environnement, et que, notamment pour des raisons d’efficacité et de bénéfices économiques, le glyphosate reste largement appliqué, sans aucune restriction.

3.c. Aspects sanitaires et environnementaux

En raison de l’utilisation massive (parfois mal maitrisée) du glyphosate, certains végétaux font preuve à présent d’une résistance croissante face au glyphosate. Ceci implique, pour contourner ce problème, que d’autres pesticides sont parfois appliqués en combinaison avec le glyphosate. Si les effets de ce dernier sont déjà mal compris et encore à l’étude, il est impératif de mentionner que la combinaison du glyphosate avec d’autres molécules phytosanitaires pourrait conduire à des effets synergiques et à une toxicité accrue. Par ailleurs, cette synergie du glyphosate avec d’autres molécules phytosanitaires pourrait modifier la décomposition du glyphosate en AMPA et générer des produits secondaires supplémentaires dont les effets sur l’environnement et la santé se doivent d’être évalués au cas par cas.

Bien que la cancérogénicité du glyphosate soit au cœur des débats, d’autres types de toxicité sont connus et pourraient même sembler plus importants. Il est ainsi prouvé que le glyphosate avait un impact non négligeable sur les systèmes biologiques, notamment sur le microbiome et le système entérique. Par ailleurs, une proportion importante de personnes et d’animaux d’élevage ayant du glyphosate dans leur urine a été jugée préoccupante, même si les concentrations détectées sont assez faibles.[18] Bien que les effets de toxicité aiguë du glyphosate sur les mammifères et les poissions soient jugés faibles, les produits formulés commerciaux sont souvent plus toxiques que le glyphosate lui-même. Des inquiétudes sont donc apparues quant aux effets chroniques des produits formulés et à l’émergence de diverses formes de cancers et de troubles de la santé mentale.[19] Outre l’exposition à de fortes concentrations en glyphosate, et la fréquence d’exposition, des paramètres externes tels que l’exposition au soleil semblent jouer un rôle sur les effets toxiques des formulations à base de glyphosate sur l’homme et les animaux aquatiques et terrestres.

Il existe également de nombreuses interpellations de la communauté scientifique sur les modifications (engendrées tant par le glyphosate, que par ses produits de décomposition) des communautés microbiennes tant dans les sols, les plantes, l’eau ou les intestins (de l’homme, des animaux aquatiques et terrestres) et sur l’association avec des pathogènes spécifiques des plantes et des animaux.15,[20]

Les modifications des microbiomes résultant de l’utilisation intensive de glyphosate peuvent affecter les mécanismes de résistance et défense et avoir, à terme, de graves répercussions sur la santé des plantes, des animaux et de l’homme.[21] Ces effets complexes et indirects du glyphosate doivent être pris en compte par les organismes de réglementation.

Pour ce qui est de la persistance et de la mobilité du glyphosate dans les écosystèmes terrestres et aquatiques, les données émises par la communauté scientifique restent lacunaires.[22] On sait cependant que le glyphosate se fixe rapidement au sol après pulvérisation et est libéré relativement lentement. La vitesse et le taux de libération du glyphosate dépendent non seulement de la composition du sol, mais également des taux de précipitation, de l’eau et des pratiques agricoles (type de travail du sol).[23] Selon la composition du sol, les demi-vies de fixation peuvent varier entre 0,8 et 151 jours en condition aérobie (pour la forme acide du glyphosate) à plusieurs mois en condition anaérobie.22 La dégradation de l’environnement se fait principalement par l’action de microorganismes du sol. Les principaux produits de décomposition sont l’acide aminométhylphosphonique (AMPA) et le dioxyde de carbone. Comme le glyphosate, l’AMPA se lie étroitement au sol et est lentement dégradé, se décomposant finalement en phosphate, en ammoniac, et le dioxyde de carbone. L’AMPA est faiblement persistant dans les sols en condition aérobie avec une demi-vie de 2,1 à 151 jours.

Comme le glyphosate et l’AMPA sont des molécules polaires, elles se dissolvent facilement dans l’eau et avec des teneurs importantes. Ces deux molécules peuvent ainsi  pénétrer les systèmes aquatiques. Dans les fleuves, rivières et étangs, la demi-vie de ces molécules varie en fonction de la composition de l’eau et du pH, ainsi que de la composition des sédiments de fond qui peuvent constituer un « puits » important, surtout si les sédiments contiennent des ions métalliques. Une étude de 2010 estimait que cette demi-vie allait de quelques jours à plus de 3 mois.[24]

Le mot de la fin

-Le glyphosate est l’une des molécules les plus vendues au monde pour son pouvoir herbicide. En 2014, on estimait ainsi que près de 0,5 kg de pesticide à base glyphosate était pulvérisé chaque année par hectare. L’usage massif et non contrôlé du glyphosate a progressivement engendré une résistance de certaines plantes et une combinaison avec d’autres agents phytosanitaires est donc maintenant fréquente.

-Si les effets du glyphosate seul sont peu compris, les effets de ses produits de décomposition, et/ou les effets des combinaisons avec ces autres agents phytosanitaires sont encore bien plus complexes à étudier et des efforts de recherche se doivent d’être absolument soutenus.

-Tandis que l’Europe prend des dispositions légales et réglementaires quant à l’usage de produits à base de glyphosate, il n’en reste pas moins qu’aucune mesure spécifique n’est prévue dans d’autres régions du globe. Il en est de même pour les variétés culturales résistantes au glyphosate, modifiées génétiquement, qui restent largement répandues sur tous les continents (dont le soja), à l’exception de l’Europe.

-Le glyphosate et ses produits de décomposition sont connus pour avoir des effets tant sur la santé que sur l’environnement. Néanmoins, certaines données lacunaires et/ou interprétation contradictoire de ces données perturbent la prise de décision finale.

Il est enfin capital de mentionner que si le glyphosate devait être banni, des méthodes de lutte alternatives se devront d’être développées. Aucune autre méthode n’offre actuellement des performances similaires à celles du glyphosate. Toute conclusion sur la poursuite de l’utilisation du glyphosate doit tenir compte de ce dilemme.

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N’hésitez pas à me contacter via l’adresse email suivante: a.richel@uliege.be ou via le formulaire disponible en cliquant ici.

Notes et références

[1] FAO (2014). FAO specifications and evaluations for agricultural pesticides: glyphosate (PDF). Food and Agriculture Organization of the United Nations. p. 5.

[2] US National Toxicology Program, Juin 2020 Reports on Carcinogens (12ème edition)

[3] Duke et al. Glyphosate: a once-in-a-century herbicide. Pest Manag. Sci. 64 (2008) 319-325.

[4] Benbrook, Trends in glyphosate herbicide use in the United States and globally Environ Sci Eur (2016) 28:3

[5] https://www.mordorintelligence.com/industry-reports/glyphosate-herbicide-market

[6] https://www.prnewswire.com/news-releases/research-report-on-chinas-glyphosate-industry-2018-2022-300689149.html

[7] https://www.cropscience.bayer.be/fr-FR/Nieuws/2020/06/Dossier-glyfosaat.aspx

[8] Antier et al. Glyphosate Use in the European Agricultural Sector and a Framework for Its Further Monitoring, Sustainability 2020, 12, 5682; doi:10.3390/su12145682

[9] Seules les données pour la Flandres sont disponibles.

[10] Dill GM. Glyphosate-resistant crops: history, status and future. Pest Manag Sci. 2005 Mar;61(3):219-24. doi: 10.1002/ps.1008. PMID: 15662720.

[11] Recherche effectuée sur SciFinder en Décembre 2020 en incluant les termes « glyphosate and toxicity ». Les aspects d’environnement n’ont pas été inclus dans la recherche.

[12] http://www.afsca.be/laboratoires/labinfo/_documents/2012-01_labinfo7fr-p12_fr.pdf

[13] Valle et al. Glyphosate detection: methods, needs and challenges. Environmental Chemistry Letters (2019) 17 :291–317 https://doi.org/10.1007/s10311-018-0789-5

[14] https://www.researchgate.net/profile/William_Battaglin/publication/258463117_Widespread_Occurrence_of_Glyphosate_and_its_Degradation_Product_AMPA_in_US_Soils_Surface_Water_Groundwater_and_Precipitation_2001-2009/links/554785770cf26a7bf4d91bb5.pdf

[15] Van Bruggen, A.H.C. Environmental and health effects of the herbicide glyphosate Science of the Total Environment 616–617 (2018) 255–268

[16] https://ec.europa.eu/food/plant/pesticides/glyphosate_en

[17] https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/20200303_shc-9561_glyphosate_vweb.pdf

[18] Niemann, L., Sieke, C., Pfeil, R., Solecki, R., 2015. A critical review of glyphosate findings in

human urine samples and comparison with the exposure of operators and consumers.

  1. Verbr. Lebensm. 10, 3–12.

[19] Fortes, C., Mastroeni, S., Segatto, M.M., Hohmann, C., Miligi, L., Bakos, L., Bonamigo, R.,

  1. Occupational exposure to pesticides with occupational sun exposure increase the risk for cutaneous melanoma. J. Occup. Environ. Med. 58, 370–375.

[20] Ackermann, W., Coenen, M., Schrödl,W., Shehata, A.A., Krüger, M., 2015. The influence of

glyphosate on the microbiota and production of botulinum neurotoxin during ruminal

fermentation. Curr. Microbiol. 70, 374–382

[21] Hoffman, A.R., Proctor, L.M., Surette, M.G., Suchodolski, J.S., 2015. The microbiome: the trillions of microorganisms that maintain health and cause disease in humans and companion animals. Vet. Pathol. 53:10–12. https://doi.org/10.1177/ 0300985815595517

[22] Martha E. Richmond, Glyphosate: A review of its global use, environmental impact,

and potential health effects on humans and other species, Journal of Environmental Studies and Sciences (2018) 8:416–434 https://doi.org/10.1007/s13412-018-0517-2

[23] Vereecken H (2005) Mobility and leaching of glyphosate: a review. Pest Manag Sci 61(12):1139–115

[24] Henderson AM, Gervais JA, Luukinen B, Buhl K Stone D (2010) Glyphosate technical fact sheet. National Pesticide Information Center, Oregon State University Extension Services http://npic. orst.edu/factsheets/archive/glyphotech.html

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