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Les fibres textiles : faut-il avoir peur de nos vêtements ?

Depuis les années 2000, la consommation occidentale en matières textiles et vêtements semble avoir doublée. Pollueur phare, associée à des scandales sanitaires, humains et de non-respect des droits humains, l’industrie textile se retrouve de plus en plus sur le devant de la scène.  Pour changer cette image négative, et satisfaire la demande de consommateurs toujours de plus en plus exigeants, les industries de la mode s’orientent aujourd’hui vers l’utilisation de fibres « naturelles » parmi lesquelles on retrouve, entre autres, le lin ou le chanvre. Mais savez-vous quel est le réel impact environnemental de ces filières ? Est-ce que les fibres naturelles sont plus « éco-responsables » que les fibres synthétiques ? Est-ce que toutes les fibres synthétiques sont effectivement produites au départ du pétrole ? C’est l’éclaircissement que nous allons tenter d’apporter aujourd’hui.

Un bref aperçu et quelques précisions

Qu’ils soient traditionnels ou plus « techniques », les textiles jonchent notre quotidien et composent nos vêtements, nos tissus d’ameublement, nos sièges de voiture, ou interviennent dans des applications plus spécifiques, comme c’est le cas des géotextiles ou des textiles médicaux, entre autres.

Un textile, ou une matière textile, est un matériau qui a la possibilité d’être tissé ou tricoté. Il est donc composé de fibres (appelées « fibres textiles ») qui peuvent être soient naturelles soient synthétiques. Parmi les fibres naturelles, les plus connues, anciennes et exploitées sont les fibres d’origine « animale » comme la laine ou la soie ou d’origine « végétale » comme c’est le cas du coton, ou du lin notamment. A l’inverse, les fibres synthétiques sont synthétisées artificiellement par l’homme et font intervenir des agents chimiques. On retrouve ainsi dans cette catégorie les polyesters, les polyamides (plus connus du grand public sous le terme de Nylon), les polyuréthanes (connus sous le nom d’élasthanne ou de Lycra®), le Lyocell®, la viscose, etc.

Figure 1. Principales fibres textiles naturelles animales (en haut) et végétales (en bas) (Crédits : pixabay)

En Belgique, chaque textile, qu’il soit destiné à notre usage personnel ou à des applications plus techniques, qu’il soit confectionné ou encore « brut », est soumis à un étiquetage obligatoire qui décrit sa composition. Cette étiquetage obligatoire, imposé par une réglementation européenne (n°1007/2011), stipule entre autres la dénomination des fibres textiles employées et leur pourcentage respectif dans un textile donné.[1]

 

Figure 2. Illustration d’un étiquetage de textile confectionné contenant dans ce cas une combinaison de fibres naturelles et de fibres textiles synthétiques (Crédit : A.Richel)

On l’aura donc compris, deux catégories de fibres occupent le marché. D’une part les fibres naturelles et d’autres part les fibres synthétiques. Le coton reste la matière végétale la plus exploitée, avec une production qui a atteint 25,8 millions de tonnes lors de la campagne 2018 selon les données de la FAO.[2] L’indice Cotlook A, qui est la référence en matière du prix du coton sur les marchés internationaux, signifiait des prix de référence qui oscillaient entre 1750 USD/tonne (2017) et 2200 USD/t (année 2018), ce qui est supérieur au prix de l’équivalent de synthèse du coton, appelé le polyester, et dont le prix moyen sur le marché (année de référence 2018) oscillait entre 1200 et 1700 USD/tonne.[3]

Les autres fibres végétales dont majoritairement le lin, ou des alternatives et nouveaux produits « dans l’air du temps » comme le bambou, le chanvre, le kénaf (Hibiscus cannabinus L., plante annuelle originaire d’Afrique), le sisal (Agave sisalana, plante originaire du Mexique)ou le jute atteignaient en 2019 13% de la consommation en fibres textiles sur les marchés européens.

Il est important de préciser que même si ces fibres sont issues de matières premières renouvelables, elles ne sont nullement synonymes de durabilité, de « Bio » ou de quelconque argument « local » et responsable. Certaines fibres naturelles restent produites en dehors des frontières européennes, nécessitent des quantités d’eau importantes pour la culture des plantes dont elles sont extraites et leur procédé de transformation est parfois long et complexe.

Si les tendances ont multiplié sur les marchés le nombre d’options potentielles en termes de fibres textiles, il est parfois utile de rappeler au « non spécialiste » la manière dont les fibres textiles qui composent nos vêtements sont produites. On vous invite donc à un petit tour d’horizon des principales fibres textiles naturelles ou synthétiques en mettant en avant certains impacts (notamment environnementaux) associés à leur voie de production.

La viscose : une alternative sûre à la soie ?  

C’est à Besançon, à la fin du 19èmesiècle, qu’un scientifique et industriel, Hilaire de Chardonnet, met au point un nouveau produit à base de cellulose et de ses dérivés en vue de concurrencer (ou de fournir une alternative) à la soie naturelle produite par les vers à soie. Ce nouveau produit, appelé anciennement « soie artificielle » va être breveté en 1892 sous le terme de « viscose ».

La viscose est ainsi produite au départ d’une matière renouvelable d’origine végétale, contenant de la cellulose. En l’occurrence, il s’agit du bois ou plus spécifiquement de la pâte à papier qui reste la matière première privilégiée.

D’un point de vue technique, la production de fibres de viscose repose sur un procédé de production en plusieurs étapes faisant intervenir des agents chimiques comme de la soude (NaOH) et du disulfure de carbone (CS2) et des quantités d’eau importantes. Ce procédé de production va solubiliser la cellulose avant de la régénérer sous la forme de fibres de cellulose (appelée viscose). La viscose est donc une cellulose qui a été « récupérée » après avoir été mise en solution, ce qui a entrainé une modification de certaines de ses propriétés.

Figure 3. Procédé schématisé de production de viscose au départ de bois/pâte à papier (Crédit : A.Richel)

Le procédé en plusieurs étapes (illustré à la Figure 3) met en évidence que la cellulose est solubilisée, transformée en un produit soufré, avant d’être mise en forme sous la forme de fibres en présence d’un acide comme de l’acide sulfurique. Cette dernière étape (qui neutralise la soude) régénèrele CS2 qui est exploité pour des cycles ultérieurs mais produit également des dégagements de H2S et d’oxydes de soufre. Le CS2est également une substance toxique, qui a été responsable de multiples incidents (empoisonnement des ouvriers via les émanations gazeuses).

Ces dernières années, des procédés plus rigoureux basés sur les normes européennes ont commencé à être mis en œuvre par les principaux producteurs de viscose. Ces normes sont basées sur l’application des dernières technologies, collectivement appelées « processus de fabrication de la viscose en boucle fermée », qui permettent la récupération et la réutilisation des produits chimiques et d’autres ressources naturelles dont l’eau.

A ce jour, la plupart des unités de production de viscose œuvrent sur de la pâte à papier (surtout en Europe), du bois (surtout feuillus) ou du bambou comme matière de base. Le marché de la viscose est en constante progression avec une hausse de marché de plus de 7,7% sur les 5 premières années des années 2000. La Chine reste le plus gros consommateur et producteur de viscose assurant plus de 62% de la production mondiale (année de référence 2012), loin devant l’Inde (9%), l’Indonésie (9%), l’Europe (9%), le Canada/USA (1%) ou même le Japon (1%). Trois grands groupes assurent la production des matières premières pour le procédé (pâte à papier, bois et dérivés) intervenant dans la production des fibres de viscose à savoir le groupe SAPPI, Bracell (Brésil) et Rayonier (USA). La production des fibres de viscose par le procédé décrit dans la Figure 3 est assurée par deux grands acteurs à savoir le groupe Lenzing (aussi actif en Autriche) et Aditya Birla (présent dans les pays asiatiques).

Afin de palier à la toxicité du CS2et afin de prôner des critères environnementaux mieux maitrisés, le N-oxyde de N-méthylmorpholine (NMMO) a été proposé en remplacement du disulfure de carbone comme solvant pour la dissolution de la cellulose par Eastman Kodak Inc. dès les années 70. En 1982, la première usine pilote de cellulose régénérée utilisant la NMMO comme solvant a été construite au Royaume-Uni et proposait un nouveau produit appelé le Tencel®. En Autriche, le groupe Lenzing exploita également de façon commerciale la production de fibres de cellulose dans le NMMO donnant un produit connu sous le nom de lyocell. En 2004, Lenzing a achevé l’acquisition du groupe Tencel et est devenu le plus grand producteur de fibres de lyocell au monde.[4]

Outre l’avantage environnemental, les fibres de lyocell sont également de grande qualité. Elles présentent de bonnes propriétés mécaniques, une bonne résistance thermique et une bonne adaptabilité avec d’autres fibres textiles.

La production actuelle du lyocell reste majoritairement centrée sur la zone Asie Pacifique, alors que la demande reste ancrée dans les pays occidentaux demandeurs de produits plus « sûrs » pour l’environnement. Le lyocell voit ses perspectives de marché en pleine expansion tant dans le secteur des vêtements (dont les denims et les vêtements de sport) que dans les tissus d’ameublement et de voiture, ou même encore dans la manufacture de produits d’hygiène. Le marché du lyocell affiche un taux de croissance annuel de plus de 12% depuis les 5 dernières années, avec un marché estimé à 818 millions de dollars sur l’année 2018.[5]

Les fibres synthétiques : de quoi parle-t-on exactement ?

Nous venons de le voir, tant la viscose que le lyocell sont des fibres textiles produites au départ de ressources renouvelables, et qui nécessitent l’usage d’agents chimiques. Ce sont donc des fibres synthétiques, au même titre que le polyester, le nylon, et les fibres acryliques.

Ces fibres synthétiques, produites par l’homme aussi bien au départ de ressources végétales que de matières fossiles, ont généralement un prix sur le marché plus faible que les fibres naturelles, ce qui justifie leur « importance » dans le secteur des textiles. Le polyester à lui seul représente ainsi plus de 55% des fibres textiles disponibles, devant le nylon (5%) et les fibres acryliques (environ 2%).

Les fibres textiles synthétiques sont généralement plus résistantes (à la pourriture, aux parasites et aux insectes, etc.) que les fibres naturelles. Elles sont généralement plus résistantes aux taches (de par le caractère hydrophobe de la fibre par exemple) et elles absorbent facilement les colorants. Toutefois, les fibres synthétiques présentent certains inconvénients, comme le fait qu’elles brûlent comparativement plus vite que les fibres naturelles, ou qu’elles fondent facilement.

Tant la demande et la production de fibres synthétiques (hors viscose/lyocell) culminent en Amérique du Nord (principalement États-Unis), en Amérique latine et en Europe. Nénamoins, les fabricants se concentrent de plus en plus sur le marché de l’Asie-Pacifique en raison de la diminution des réglementations et de l’augmentation de la demande.[6]Parmi les principales entreprises actives sur le marché mondial des fibres textiles synthétiques figurent Bridgestone Corporation, BP Amono Plc., Univex SA, Bayer AG, BASF, et DuPont.

Le nylon représente 5% de la consommation des fibres textiles au niveau mondial. Il s’agit de la première fibre synthétique de l’histoiremise au point dans les années 1930 par Du Pont de Nemours et sera commercialisé dès 1938. Le nylon est un polyamide formé par la polycondensation (qui s’accompagne donc de perte de molécules d’eau) d’unités de base (appelées monomères) issues de matières fossiles. Le nylon 6,6, produit en 1938, est généré par la réaction entre deux monomères distincts, à 6 atomes de carbone chacun (Figure 4).

 

Figure 4. Schéma simplifié de production de nylon 6,6 (Crédit : A.Richel)

Il existe d’autres types de nylon tels que le nylon 11, le nylon 12, etc. qui se différencient par la nature des monomères mis en présence et par leur origine (fossile ou renouvelable). La nature des monomères mis en présence, la « longueur » du polymère, la présence éventuelle d’additifs, etc. influencent les propriétés mécaniques et fonctionnelles des fibres obtenues. De manière générale, les nylons présentent une bonne résistance mécanique, et une faible pouvoir absorbant (ce qui implique qu’ils sèchent relativement facilement et vite). Intégré dans diverses matières textiles, le nylon reste pourtant la fibre textile de choix pour la manufacture de bas et de collants.

A côté du nylon, les fibres synthétiques de type « acrylique » sont quant à elles obtenues par la polymérisation d’acrylonitrile, un monomère issu des filières pétrochimiques. D’autres monomères conviennent aussi pour la production de ce type de fibres, ce qui est le cas de l’acétate de vinyle ou de l’acrylate de méthyle. Pour être reconnue comme étant une fibre acrylique aux États-Unis, la fibre finale doit contenir au moins 85% d’acrylonitrile. Les fibres acryliques ont été produites quasiment dans la même période que le nylon, dès le début des années 40.  Cette fibre, douce, résistante, est très légère et peu froissable et résiste très bien aux expositions aux ultraviolets. Néanmoins, des recherches menées par l’Université de Plymouth en Angleterre ont mis en évidence le relargage de fines particules (micro-plastiques) lors du lavage intense et répété de ces fibres en présence d’agents de lavage agressifs.[7]

Enfin, les fibres de type « polyester » englobent quant à elles une gamme de polymères avec des fonctions esters, parmi lesquels figure principalement le PET (acronyme de polytéréphtalate d’éthylène) qui est déjà exploité dans la manufacture de nos bouteilles. En 2018, 39 millions de tonnes de PET ont été produites pour des applications textiles, dépassant de loin les 16 millions de tonnes produites pour le secteur des emballages.

Les fibres de PET disposent de propriétés physico-chimiques intéressantes pour le secteur textile dont notamment leurs élasticité, leur stabilité dimensionnelle (peu de déformations), leur solidité, et leur résistance à la chaleur.

D’un point de vue industriel, le PET est obtenu par combinaison de deux monomères issus de l’industrie pétrochimique, dont l’éthylène glycol et l’acide téréphtalique.

Le PET intégré dans nos vêtements peut également provenir des filières de recyclage. Vos bouteilles usagées peuvent ainsi devenir de la matière première qui entre dans la composition de nouvelles fibres textiles. On estime ainsi que le recyclage de 10 bouteilles d’eau permet de fournir environ 0,45 kg de fibres polyesters.

Les fibres naturelles

A côté des fibres synthétiques, les fibres naturelles apparaissent donc spontanément aux yeux des consommateurs comme des options d’intérêt, plus respectueuses de l’environnement. Nous ne traiterons pas ici des fibres naturelles animales comme la laine et la soie qui sont en elles-mêmes des sujets complexes à part entière. Nous allons ainsi nous focaliser sur les fibres naturelles d’origine végétale qui représentent à elles seules plus de 30-35% des parts de marché des fibres textiles dont 27% sont couvertes par le coton contre 7-13% pour les fibres dérivés de plantes à fibres comme le lin, le chanvre ou le sisal. La laine et la soie à elles deux n’occupent qu’une faible part du marché des fibres textiles (1% seulement pour la laine par exemple).

Les fibres naturelles sont, comme leur nom l’indique, des éléments filamenteux produits par certaines plantes et isolées de celle-ci par des procédés de nature mécanique ou physique. On parle aussi dans le langage scientifique de fibres végétales, c’est-à-dire d’entités filamentaires présentes dans les parois cellulaires des plantes et composées principalement de cellulose.

Le lin est une de ces plantes à fibres d’intérêt pour le secteur des textiles. Cultivée depuis plusieurs milliers d’années, cette plante a été introduite en Europe il y a plus de 2000 ans. Exploitée déjà en Égypte ancienne dans les cartonnage funéraires, le lin était également utilisé pour la confection de vêtements ou la réalisation de cordes ou de sacs.

Figure 5. Illustration de la culture du lin en Egypte – 13/11èmesiècle av. J.-C. Deir el-Medina, tombe de Sennutem (Photo : domaine public)

Le lin va progressivement s’ancrer sur le territoire européen, notamment en Belgique ou dans le Nord de la France. Aujourd’hui, le Nord de la France (Normandie, Picardie, etc.) reste le plus gros producteur de lin assurant 80% de la production française. La production française de lin à fibres était assurée sur une surface de 54 525 ha en 2000 et a presque doublé en 2018 pour atteindre une surface totale de 105 709 hectares. La production est également passée de 371 622 tonnes en 2000 à plus de 660 107 tonnes en 2018. De la même manière, la production de lin en Belgique a augmenté entre 2000 et 2018 passant de 13 561 ha à 15 790 ha, avec un rendement qui a culminé à 80 907 tonnes en 2018.[8]A ce jour, plus de 90% du lin produit en Europe est destiné au marché textile.

Après la récolte du lin, les fibres sont obtenues par diverses étapes souvent encore empiriques, parmi lesquelles on retrouve le rouissage qui consiste à laisser les tiges de lin coupées sur le sol pendant plusieurs jours. Cette opération permet de scinder les fibres du reste de la plante et laissant les microorganismes présents sur le sol (champignons, bactéries) agir dans des conditions hygrométriques et de température spécifiques. Après un temps donné, ces fibres sont ensuite récupérées, séchées et puis soumises à une opération mécanique appelée teillage qui va permettre d’éliminer certains autres composants comme la lignine, afin d’obtenir des fibres de lin riches en cellulose. Le produit obtenu est ensuite peigné, filé avant d’être commercialisé.

Le lin se prête à des usages textiles en raison de sa résistance mécanique et de ses propriétés de régulation thermique (isolant en hiver par exemple). Le lin est cependant froissable. Pour cette raison, il est souvent additionné avec des fibres synthétiques dans la confection de textiles.

Le sisal, tout comme le kénaf ou le jute sont également des plantes à fibres originaires d’Amérique du Sud, d’Afrique ou d’Asie. Ces plantes, à fort rendements à l’hectare, restent cultivées en dehors de nos frontières. A titre d’exemple, pour 2018, le plus gros producteur au monde de jute était l’Inde avec une production couvrant 764 359 hectares (soit 1 951 865 tonnes de jute), devant le Bangladesh qui offrait une surface de 758 248 hectares. Le sisal quant à lui est cultivé sur des surfaces arables plus restreintes au niveau mondial, avec une production dominée par le Brésil (91 306 hectares) puis la Tanzanie (45 507 hectares).[9]

Figure 6. Culture de sisal (gauche) et de jute (droite)

Ces matières premières contiennent des quantités importantes de cellulose, molécule naturelle de base qui composent les fibres. Le sisal contient ainsi environ 60 à 73% de cellulose par rapport à son poids sec, le kénaf entre 44 et 72% (en fonction de la partie de la plante concernée), et le jute entre 51 et 78%.[10]A titre comparatif, le lin contient entre 64 et 84% de cellulose. La cellulose, composant majoritaire de ces fibres, assurent à celles-ci d’excellentes propriétés mécaniques. Pour cette raison, ces fibres végétales se retrouvent intégrer nos seulement dans la confection de nouveaux vêtements, mais également dans la manufacture de nouveaux matériaux résistants tels que des cordes et cordages, des sacs de transport, etc. Face à ces propriétés mécaniques exceptionnelles, ces fibres qu’elles soient de sisal, de jute ou de lin, se retrouvent évaluée comme intrants dans la production de matériaux composites, notamment biodégradables, dans des secteurs-phares tels que le secteur automobile notamment.[11]

Le sisal fait partie de la liste des nouvelles cultures à fibres identifiées comme pertinentes pour relever les défis du changement climatique selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. En effet, tout au long de son cycle de vie, le sisal absorbe plus de CO2qu’il n’en émet. Les sous-produits de la production de fibres de sisal sont essentiellement des résidus organiques (notamment des feuilles) qui peuvent servir d’amendement ou d’intrant pour la production d’énergie en circuits courts via biométhanisation. En Afrique (principalement de l’Est), le rendement en sisal est assez élevé, même avec de faibles apports hydriques, et peut atteindre 4 tonnes/ha. Notons également que ces rendements importants alimentent d’autres stratégies notamment l’utilisation du sisal et de ses fibres pour des applications de type biocarburants (bioéthanol cellulosique, dit de « seconde génération »).

Le jute quant à lui offre les fibres naturelles les plus longues qui soient et peuvent en moyenne atteindre de 1 à 4 mètres. Le jute reste la fibre naturelle la plus compétitive sur le marché, bien moins chère que le lin ou même le sisal. Le jute vient juste derrière le coton sur le plan du prix et des volumes produits annuellement. La culture du jute nécessite des conditions tropicales avec des taux d’humidité compris entre 60 et 90%. La culture arrive à maturité après environ 120 jours mais la production (et donc le prix) est fortement dépendante des conditions météorologiques. Sur les 10 dernières années, la production mondiale annuelle de jute a atteint entre 2,5 et 3 millions de tonnes, ce qui est analogue au volume de laine produit. Le jute s’exporte (majoritairement du Bangladesh et d’Inde) à environ 40% sous la forme de fibres. Les 60% restants sont utilisés sur place pour la confection textile destinée à l’exportation et en moindre mesure au marché domestique.

Le coton quant à lui reste la fibre naturelle végétale la plus exploitée. Sa culture est en constante expansion avec des productions globales qui sont passées de environ 14 millions de tonnes en 1980 à 18,5 millions de tonnes en 2000 pour atteindre une production de 24,2 millions de tonnes en 2018. La production est ventilée sur les 5 continents. Néanmoins, l’Asie reste le plus gros producteur de coton et assure plus de 62% de la production mondiale, loin devant l’Amérique du Nord et du Sud qui assurait en 2018 26% de la production totale (Figure 7).

Figure 7. Répartition des productions de coton continent par continent en prenant les résultats de production de l’année 2018. (Crédit : A.Richel)

Le coton reste une matière de choix pour la production de fibres textiles avec une teneur en cellulose qui dépasse les 90%. La culture du cotonnier est cependant exigeante, nécessite une saison végétative longue ainsi que des taux d’ensoleillement élevés et des quantités d’eau importantes (apportées soit par la pluie soit par apport externe et arrosage). Les cotonniers sont également la cible de multiples ravageurs et parasites et impliquent donc l’usage d’agents phytosanitaires pour atteindre des rendements de production rentables. La plupart de ces agents phytosanitaires sont cependant connus pour leur impact négatif tant sur la santé humaine que sur les écosystèmes. Qui plus est, le cotonnier nécessite des apports d’engrais réguliers. Le recours à des modes de production biologique limite l’usage de pesticides problématiques, mais nécessite une main d’œuvre plus conséquente et ne se prête donc que pour des surfaces plus limitées. Rappelons aussi que des apports en eau importants se doivent d’être réalisés, notamment par irrigation, et que ces apports sont responsables de la sécheresse de certaines régions (comme ce fut le cas de la mer d’Aral).[12]Le coton fibre reste cependant un pilier dans l’économie de certains pays.

A côté du coton, ou du lin, le chanvre fait une entrée de plus en plus remarquée dans le secteur des textiles. Comme les autres fibres végétales, le chanvre présentent de bonnes propriétés mécaniques et physico-chimiques qui sont d’intérêt dans le secteur de la confection textile. Le chanvre dit « à fibres » contient environ 48-55% de cellulose, ce qui un peu inférieur aux autres plantes à fibres précitées. Le chanvre à fibres est majoritairement produit en Union Européenne avec des surfaces cultivées qui ont doublé en moins de 10 ans, passant d’environ 8050 hectares en 2000 à 10080 ha en 2010 pour atteindre une surface de plus ou moins 19100 ha en 2018. Le rendement de production a ainsi augmenté d’environ 55 000 tonnes en 2000 à plus de 126 000 tonnes en 2018 selon les données de la FAO.

A ce jour de nombreuses recherches sont menées sur les fibres de chanvre. En effet, il apparait que ses propriétés sont améliorées si la lignine et les hémicelluloses, deux composants principaux des matières végétales sont éliminées, ce qui impose l’usage de méthodes de traitement chimiques et/ou physiques/mécaniques. Par ailleurs, afin d’améliorer la résistance de ces fibres et/ou de moduler ses propriétés (par exemple élastique), des réactions de modification par voie chimique sont parfois encouragées.[13]

Les fibres naturelles sont-elles « écologiques » ?

Divers sites internet vous expliquent que les fibres naturelles sont « respectueuses de l’environnement », « écologiques » et donc « bénéfiques pour notre planète », à l’inverse des fibres textiles synthétiques associées aux termes de « toxicité » et de « pollution ».[14]Sous l’œil de la chimie et des arguments scientifiques, le discours se doit cependant d’être bien plus nuancé.

L’analyse de la chaine de valeur d’une fibre textile, de l’extraction des matières premières (de nature fossile ou renouvelable) au textile manufacturé, au travers d’une analyse de cycle de vie a mis en évidence que l’acrylique et le polyester (PET) ont moins d’impact sur l’environnement que le nylon. Le coton quant à lui représente la charge environnementale la plus lourde. Le tissage reste, quelque soit la fibre concernée, l’étape du cycle de vie la plus contributive, suivie de la fabrication de la fibre (et du filage pour le coton).[15]

Concernant les fibres (naturelles ou synthétiques) dérivées de la cellulose comme c’est le cas de la viscose, du lycocell ou des fibres cellulosiques issues de plantes à fibres (chanvre, lin, sisal, etc.), de multiples analyses de cycle de vie occupent la littérature scientifique. Leurs résultats divergent en fonction des scénarios envisagés et de l’objet de l’analyse. De manière assez collégiale, il apparait que le lin produit en Belgique est la matière qui présente les meilleurs scores de performance environnementale.[16]

Les fibres de viscose présentent un impact sur l’environnement élevé mais qui reste plus faible que celui associé aux fibres de coton. Les impacts environnementaux des fibres de viscose varient notamment en fonction de la zone géographique de production. Ainsi les productions de viscose effectuées en Autriche, sur base de pâte à papier, ont moins d’impact que les production assurées en Asie sur des matières premières plus brutes. En outre, la viscose « made in Europe » ont des émissions de procédé (notamment en oxydes de soufre) mieux contrôlées et maitrisées que dans les unités de production asiatiques.[17]Les avantages environnementaux du Lyocell sont quant à eux le résultat d’une faible consommation d’énergie, d’une faible utilisation de produits chimiques, de faibles émissions de CO2, de faibles émissions de SO2et de faibles consommations d’eau, ce qui entraîne de faibles impacts sur l’épuisement abiotique, l’écotoxicité terrestre, la formation d’oxydants photochimiques et l’acidification.

Afin de séduire des consommateurs toujours de plus en plus exigeants et afin de satisfaire les normes environnementales toujours de plus en plus rigoureuses, de nombreuses innovations sont ainsi pratiquées dans le domaine des fibres, notamment à base de cellulose. Lenzing, producteur de lyocell établi en Autriche, a ainsi lancé sur le marché depuis 2017 une nouvelle fibre de cellulose (RefibraTM) produite avec une technologie qui exploite des matières premières recyclées dont des déchets de coton et des sous-produits forestiers dans une logique d’économie circulaire. Lenzing s’est aussi investi dans la production d’une nouvelle fibre de viscose, appelée EcoVeroTM, jugée plus durable et produite au départ de sources de bois certifiées FSC®ou PEFC®dans un procédé viscose légèrement amélioré (avec une réduction des impacts sur l’eau et des émissions gazeuses en cours de procédé).[18]Ces fibres de cellulose sont généralement plus chères et donc souvent destinées à des textiles « haut de gamme » ou des vêtements de luxe.

Recommandations et conclusions

  • Les fibres composent chaque textile. Qu’elles soient naturelles ou synthétiques, elles se différencient par leurs caractéristiques, notamment physico-chimiques et fonctionnelles, mais également par leur prix. Rappelons que nos vêtements peuvent être composés de plusieurs fibres différentes.
  • Contrairement aux idées reçues, les fibres synthétiques n’exploitent pas que des matières premières fossiles. Des matières renouvelables peuvent aussi servir à la production de ces fibres synthétiques, ce qui est le cas des fibres de viscose ou de lyocell. Les fibres synthétiques restent les plus utilisées dans la confection textile en raison de leurs performances et de leur coût moindre. C’est le cas notamment du polyester qui occupe plus de 50% du marché, loin devant le nylon et l’acrylique.
  • A côté des fibres animales comme la soie ou la laine, les fibres naturelles présentent une augmentation de leurs parts de marché. Ces fibres, contenant principalement de la cellulose, peuvent être extraites du lin qui reste la matière première la plus attractive d’un point de vue tant technique qu’environnemental, mais aussi du sisal, du jute ou du kénaf qui sont des matières premières à hauts rendements mais cultivées principalement en Afrique ou en Asie. Le chanvre quant à lui est en progression, même si ces performances s’alignent sur les autres fibres naturelles végétales, notamment en raison d’arguments de communication ou d’incitants locaux.
  • L’impact environnemental est le plus important pour le coton qui reste la fibre naturelle la plus problématique. La viscose est également pointée du doigt même si des filières plus durables, et plus locales, commencent à émerger. De toutes les fibres, l’acrylique et le polyester restent les plus avantageuses. Rappelons également que ces fibres sont recyclables et peuvent dès lors être obtenues de filières de recyclage (ce qui est le cas du PET qui peut être recyclé de nos emballages et bouteilles).
  • A côté de ces fibres de synthèse, dépendantes des prix des ressources fossiles, les fibres naturelles sont de plus en plus soutenues par les consommateurs. A ce jour cependant, aucune étude exhaustive et descriptive sur l’ensemble de la chaine de valeur de ces fibres n’a été réalisée. Ce point devrait, selon nos recommandations, être effectué dans les plus brefs délais. En effet, les aspects de culture doivent être décrits et analysés. En cas d’exploitation massive, des changements indirects d’affectation des sols ou des pratiques d’agriculture intensive risquent d’apparaitre. Par ailleurs, des spéculations sont en train de naitre concernant le sisal. Sa forte teneur en cellulose et son haut rendement à l’hectare en font une des matières lignocellulosiques de choix pour la production d’autres types de produits dont des biocarburants ou des bioplastiques.
  • Si certaines marques aiment avancer le côté « durable » de leurs vêtements, il convient de mentionner que ces arguments ne se basent souvent pas sur des données scientifiques et/ou ne prennent en compte qu’une partie de la chaine de valeur de la matière. Ces arguments apparaissent dès lors comme des propos commerciaux et/ou de green-washing. Qui plus est, si la question de la composition en fibres textiles se doit d’être étudiée en profondeur, il en va de même pour les colorants, et autres additifs qui entrent dans la confection textile et qui constituent un sujet d’étude à part entière.
  • Enfin, si le chanvre ou d’autres fibres naturelles éveillent les appétits du marché, il reste à mentionner que ces matières restent plus chères. Certes l’argument local et environnemental est avancé, mais la compétition rude exercée par les marques de vêtements en terme de prix pénalisent ces matières naturelles.

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Notes et références

[1]https://economie.fgov.be/fr/themes/ventes/reglementation/etiquetage/etiquetage-de-la-composition

[2]http://www.fao.org/3/CA4076FR/CA4076FR_chapitre10_Coton.pdf

[3]https://www.cotlook.com

[4]https://bioresources.cnr.ncsu.edu/resources/regenerated-cellulose-by-the-lyocell-process-a-brief-review-of-the-process-and-properties/

[5]https://www.grandviewresearch.com/industry-analysis/lyocell-fiber-market

[6]https://www.transparencymarketresearch.com/synthetic-textile-fiber.html

[7]Browne, M. A.; Crump, P.; Niven, S. J.; Teuten, E.; Tonkin, A.; Galloway, T.; Thompson, R. Accumulation of Microplastic on Shorelines Woldwide: Sources and Sinks. Environmental Science & Technology2011, 45(21), 9175–9179. https://doi.org/10.1021/es201811s.

[8]http://www.fao.org/faostat/fr/consultée le 19/02/2020. Analyse effectuée sur la région « France » et « Belgique » – Production lin fibres » année de référence 2000 et 2018.

[9]Données de la FAO consultées le 19/02/2020 en prenant tous les zones mondiales et en ciblant l’année de référence 2018

[10]Kalia  S, Kaur  BSKI.  Cellulose Fibers:  Bio-  and Nano-Polymer  Composites  [Internet]. Kalia  S,  Kaith BS,  Kaur  I, editors.  Berlin,  Heidelberg: Springer  Berlin  Heidelberg; 2011.  743  p. Available  from: http://link.springer.com/10.1007/978-3-642-17370-7

[11]Bousfield, G.; Morin, S.; Jacquet, N.; Richel, A. Extraction and Refinement of Agricultural Plant Fibers for Composites Manufacturing. Comptes Rendus Chimie2018, 21(9). https://doi.org/10.1016/j.crci.2018.07.001.

[12]http://www.snv.jussieu.fr/bmedia/textiles/02-coton-culture.html

[13]Biljana M. Pejic, Mirjana M. Kostic, Petar D. Skundric, Jovana Z. Praskalo, The effects of hemicelluloses and lignin removal on water uptake behavior of hemp fibers, Bioresource Technology, Volume 99, Issue 15, 2008, Pages 7152-7159, ISSN 0960-8524, https://doi.org/10.1016/j.biortech.2007.12.073.

[14]Recherche effectuée dans le moteur « google » en ciblant les mots clés : « fibres textiles que choisir ». Les sites internet consultés ne sont volontairement pas mentionnés.

[15]van der Velden, N.M., Patel, M.K. & Vogtländer, J.G. LCA benchmarking study on textiles made of cotton, polyester, nylon, acryl, or elastane. Int J Life Cycle Assess 19, 331–356 (2014). https://doi.org/10.1007/s11367-013-0626-9

[16]https://www.scsglobalservices.com/files/resources/scs-stella-lca-executive_summary-100617.pdf

[17]Li Shen, Ernst Worrell, Martin K. Patel, Environmental impact assessment of man-made cellulose fibres,

Resources, Conservation and Recycling, Volume 55, Issue 2, 2010, Pages 260-274, ISSN 0921-3449, https://doi.org/10.1016/j.resconrec.2010.10.001.

[18]https://www.ecovero.com