« Biocarburants », « carburants de synthèse », « kérosène vert » ou l’éloge de la diversité terminologique

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Existe-t-il différents types de nouveaux carburants ? Sont-ils différents des carburants traditionnels issus du pétrole ? Est ce correct d’affirmer qu’un carburant est vert ? La problématique des carburants est complexe à aborder. Une précision du vocabulaire d’usage est une priorité.

Depuis de nombreux mois, les débats et prises de parole s’animent sur les « carburants renouvelables », le « kérosène vert », les « hydrocarbures verts », les « carburants alternatifs » et autres variantes. Force est cependant de constater que le non-spécialiste pourrait s’y perdre dans cette foule d’options terminologiques. Dans tous les cas, on parle ici d’une seule et unique chose à savoir des carburants liquides pour le transport. On parle donc de matières possédant un contenu énergétique intrinsèque. Si les débats se focalisent surtout ces derniers temps sur les carburants liquides pour le transport aérien, le terme de carburants liquides pour le transport (CLT) concerne aussi le transport routier, de même que le transport maritime (trop souvent ignoré).

Le terme « vert », de plus en plus présent tel un étendard ou un gage de qualité environnementale, invite quant à lui à la plus grande prudence. L’usage du terme « vert » peut se décliner comme un argument de communication et ne refléter en rien une quelconque amélioration environnementale, tant d’un point de la manufacture du dit carburant que d’un point de vue de son usage et de sa fin de vie.

La problématique des carburants liquides reste donc complexe à aborder. Une précision, une explication vulgarisée, du vocabulaire d’usage dans la communauté scientifique sur cette thématique aussi stratégique s’impose donc à nos yeux comme une priorité.

1) Carburants liquides de transport
Un carburant liquide (liquid fuel en anglais) fait référence à une matière composée de molécules combustibles ou génératrices d’énergie qui peuvent être exploitées pour créer de l’énergie mécanique, produisant généralement de l’énergie cinétique.

La plupart des carburants liquides largement utilisés dans le monde sont dérivés de combustibles fossiles (le plus souvent du pétrole mais aussi du gaz naturel ou du charbon) mais il existe plusieurs autres variantes comme l’éthanol ou le biodiesel qui eux sont issus de la « biomasse » (terme exploité de manière abusive pour désigner les ressources végétales renouvelables). L’éthanol et le biodiésel sont donc aussi classés sous le terme générique de « carburants liquides ». Aujourd’hui, les carburants liquides sont produits à plus de 80% au départ du pétrole.

En l’état, le pétrole n’est pas exploitable. C’est un mélange très hétérogène de molécules (entités chimiques) qu’il faut traiter au travers d’opérations dites de raffinage. Concrètement, ce raffinage va permettre de séparer efficacement les composants du pétrole en fractions valorisables tels que des produits non énergétiques (ex. bitume, lubrifiants, etc.) ou des produits énergétiques (comme le diesel, l’essence, le kérosène, le mazout de chauffage mais aussi le fioul lourd pour le transport maritime).[1](Figure 1)

Les carburants liquides utilisés pour le transport sont des mélanges d’hydrocarbures (molécules composées de carbone et d’hydrogène, saturées, insaturées ou aromatiques), obtenus par raffinage pétrolier, se différenciant par leur nombre d’atomes de carbone constitutifs. Les carburants liquides se différencient par leur température d’ébullition, mais aussi par certaines de leurs propriétés physico-chimiques (viscosité, point flash, etc.). L’essence par exemple présente des chaines d’hydrocarbures plus petites que celles retrouvées dans du diesel de roulage.

Figure 1. Illustration très schématique du raffinage pour l’obtention de fractions énergétiques de type carburants liquides de transport (avec quelques exemples non exhaustifs)

2) Carburants de synthèse
Les carburants de synthèse, aussi appelés carburants synthétiques (synthetic fuels en anglais), sont aussi des mélanges d’hydrocarbures, mais obtenus cette fois à partir d’autres ressources que le pétrole comme le charbon, le gaz naturel, la biomasse végétale ou certains types de déchets ménagers ou industriels.

Typiquement ces intrants vont subir une première conversion thermochimique (à très hautes températures) qui va les convertir en un mélange de monoxyde de carbone (CO) et de dihydrogène (H2). Ce mélange va ensuite être traité dans des conditions spécifiques, en présence d’un catalyseur (à base de nickel, ou de fer, de ruthénium, de cobalt, etc.), pour donner au final un carburant de synthèse, soit de l’essence, du diesel ou bien du kérosène. (Figure 2) Ce procédé est connu sous le nom de procédé de Fischer-Tropsch (aussi mentionné par son abréviation « FT »).[2]

Figure 2. Illustration du procédé de Fischer-Tropsch permettant l’obtention de carburants liquides de synthèse pour le transport

En fonction de la nature de la matière première, on parle des filières « CTL » (ou Coal-to-Liquid, c’est-à-dire l’obtention de carburants de synthèse au départ de charbon), « BTL » (Biomass-to-Liquid quand la matière première est de la biomasse) ou « GTL » (Gas-to-liquid pour les productions au départ de gaz naturel). Ces filières sont parfois décrites génériquement par l’abréviation « xTL ». Le « diesel xTL » (norme EN 15940) est donc un mélange d’hydrocarbures obtenus par ce procédé de Fischer-Tropsch au départ de diverses matières premières. Le diesel GTL (produit par Shell) est donc un mélange d’hydrocarbures de type diesel obtenus au départ de gaz naturel.

D’autres variantes terminologiques sont également trouvées dans les actes scientifiques. Un produit de type « FT essence » est donc un mélange d’hydrocarbures de type essence obtenus par le procédé de Fischer-Tropsch sans précision de la matière première exploitée (qui peut être n’importe quoi sauf du pétrole). Un FT-kérosène est donc un kérosène de synthèse obtenu par un procédé de Fischer-Tropsch sans précision de la matière de départ.

La confusion est donc de mise dans cette multitude de variantes de dénomination. Néanmoins, dans tous les cas de figure, on parle bien de mélanges d’hydrocarbures dont la composition chimique est un peu différente de ceux obtenus par raffinage pétrochimique. Gros avantage, les carburants de synthèse ne contiennent pas de soufre ou de composés aromatiques.

A noter également que cette approche alliant conversion thermochimique suivie d’une réaction de Fischer-Tropsch n’est pas uniquement limitée à la production de carburants mais qu’il est aussi envisageable de produire d’autres molécules à destination du secteur chimique (alcools, acétone, entre autres).

Le procédé de Fischer-Tropsch, bien que décrit dans plusieurs milliers d’articles scientifiques depuis les années 2000, est cependant assez ancien dans l’histoire industrielle. Mis au point dans les années 1920, ce procédé a connu une exploitation massive durant la seconde guerre mondiale par l’Allemagne produisant plusieurs dizaines de milliers de barils par jour de carburants liquides au départ de charbon (assurant ainsi plus de 50% des besoins totaux en combustibles et plus de 90% des besoins en carburants pour l’aviation). A la fin du conflit, les usines allemandes de production de ces carburants de synthèse ont été très endommagées par les bombardements alliés et le procédé est tombé en désuétude. Un regain d’intérêt est mentionné dans les années 1950 par l’Afrique du Sud, suite à l’isolement du pays en pleine Apartheid qui développa des unités mécanisées au départ de charbon (unités CTL). Ces unités sont toujours opérationnelles et couvraient au début des années 2000 plus de 2/3 des besoins combustibles d’Afrique du Sud. La société Sasol, dont le siège social est à Johannesburg et qui a initié ce projet dans les années 1950 est aujourd’hui un des acteurs majeurs en production de carburants de synthèse par le procédé de Fischer-Tropsch.

Les fluctuations des cours du pétrole, combinées à des stratégies géopolitiques, économiques, et de sécurisation de filières d’approvisionnement ont depuis les années 2000 positionné le procédé Fischer-Tropsch comme une option prioritaire. Shell a ainsi ouvert l’un des plus grands sites de production (de type GTL, donc au départ de gaz naturel) au Qatar en 2011. La Chine quant à elle caracole toujours en tête des projets de type CTL (donc au départ de charbon) avec des partenariats avec le groupe Shell ou le groupe Sasol. La Chine prendrait ainsi une avance sur cette production de carburants synthétiques.

3) E-carburant
Un e-carburant (e-fuel en anglais) est aussi un carburant de synthèse, massivement développé et promu par le groupe allemand Audi. Ce e-carburant repose sur une séquence d’étapes de production intégrant en étape préliminaire l’utilisation de dioxyde de carbone (CO2) capté de l’atmosphère ou de rejets industriels et d’hydrogène (H2) obtenu par électrolyse de l’eau. Le méthane (c’est-à-dire un analogue du gaz naturel) ainsi obtenu est ensuite traité conventionnellement par le procédé de Fischer-Tropsch que nous avons décrit précédemment. (Figure 3) Dans ce cas aussi, nous avons bien un carburant de synthèse, qui est également un mélange d’hydrocarbures et qui peut donc se décliner en e-essence, e-diesel, etc.

Figure 3. Illustration d’une variante de procédé avec synthèse de méthane obtenu au départ de CO2et de H2

La réaction qui permet de combiner le CO2 et l’hydrogène pour en former du méthane (et de l’eau) est connue sous le nom de réaction de Sabatier. Déjà connue pour produire du méthanol, elle est revenue sur le devant des réflexions dans la perspective des voyages habités sur Mars, permettant de produire au départ des gaz de l’atmosphère de la planète Mars de l’eau et du méthane de synthèse, exploitable directement comme carburant.[3]

Cette option de production de carburants de synthèse est aussi désignée sous le concept anglais de « power-to-fuel » (PtG). Promu par des états comme le Danemark, l’Allemagne ou la France, il permettrait d’offrir une voie de stockage et de valorisation de l’électricité excédentaire (notons que le procédé peut être arrêté avant l’étape de Fischer-Tropsch et produirait ainsi du méthane « non fossile » pouvant être réinjecté sur le réseau de distribution). Diverses options sont également opérationnelles, notamment via l’exploitation du CO2qui proviendrait des rejets des unités de biométhanisation des déchets organiques (particulièrement présentes en Europe de l’Ouest).

Notons aussi que divers projets étudient aussi la possibilité d’utiliser directement le biogaz issus de biométhanisation pour obtenir des carburants liquides par le procédé de Fischer-Tropsch.[4]

4) Carburants avancés, carburants alternatifs et biocarburants
Les carburants alternatifs (alternative fuels en anglais), aussi connus sous le nom de carburants avancés (advanced fuels en anglais) font par définition référence à toutes les options de carburants liquides issus de ressources autres que les ressources fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon). Un carburant alternatif peut donc être un biocarburant (carburant produit au départ de la biomasse), un carburant produit au départ de déchets ou sous-produits (qu’ils soient organiques ou pas). Le terme de carburant avancé fait aussi référence aux options de stockage « chimique » de l’électricité comme les batteries par exemple. Un carburant alternatif peut aussi faire référence à des gaz comme l’hydrogène, le méthane, etc.

Bref, le terme de carburant alternatif quand il est employé pour désigner des carburants pour le transport désigne toutes les options de carburants envisageables pour peu qu’elles ne soient pas issues de ressources fossiles traditionnelles.

Alors que la langue anglaise ne reconnait que le terme de biofuel pour désigner un carburant produit de la biomasse, la langue française démontre plus de richesse. On trouve ainsi fréquemment l’appellation de biocarburant côtoyer celle d’agro-carburant, de carburant végétal, de carburant vert (la couleur verte faisant ainsi référence à la couleur symbolique du monde végétal) ou de carburant de première, ou de seconde génération ou carburant cellulosique. Tout cela revient à peu de choses près à la même chose. Il n’en reste pas moins que de petites subtilités pointent parfois le bout de leur nez.

La Figure 4 illustre la production de bioéthanol au départ de ressources végétales qu’elles soient à vocation primaire alimentaire (comme le blé, le maïs, la canne à sucre) ou non alimentaire (cultures dédiées comme le miscanthus, le bois, les déchets agricoles, etc.). La production de bioéthanol repose sur une fermentation de certaines molécules renouvelables (de type « sucres ») contenues dans ces ressources végétales. On obtient ainsi de l’éthanol, mais ce procédé peut également fournir des variantes comme le butanol, qui sont des alcools exploitables comme carburants liquides pour le transport (seuls ou en mélange avec de l’essence conventionnelle selon la législation en vigueur). L’indication E10 à la pompe fait ainsi référence à une essence contenant 10% en volume de bioéthanol.

Figure 4. Illustration schématisée de la production de bioéthanol au départ de la biomasse

Le biodiesel quant à lui est produit au départ de ressources renouvelables riches en lipides (huiles, graisses) contenues dans des plantes spécifiques (comme le colza, le tournesol mais surtout le palmier à huile) ou provenant des filières de recyclage (huiles usagées). Les algues sont aussi des matrices de choix pour l’obtention de biodiesel.

La production de biodiesel se fait quant à elle par voie chimique. Le biodiesel est donc un mélange de molécules de type lipides ayant subi un traitement chimique. Le biodiesel est aussi désigné par certains sous l’acronyme de FAME (qui est en réalité l’acronyme donné aux molécules chimiques qui composent le biodiesel – Fatty Acids Methyl Esters) (Figure 5). Les FAME sont aussi le plus souvent utilisés en mélange avec du diesel conventionnel. L’indication B7 à la pompe fait ainsi référence à un diesel de roulage qui contient 7% en volume de biodiesel.

Ces FAME sont des molécules qui sont différentes des molécules contenues dans un diesel xTL. Même s’il s’agit de deux carburants alternatifs, ces produits ne sont pas obtenus par les mêmes procédés et ne sont donc pas composés des mêmes molécules chimiques.

Figure 5. Illustration schématisée de la production de biodiesel au départ de la biomasse ou d’huiles usagées 

On l’aura donc bien compris, les carburants alternatifs au départ de ressources renouvelables sont largement diversifiés, et se distinguent non seulement par leur procédé de production (fermentation pour les bioalcools, voie chimique pour le biodiesel, procédé thermochimique et Fischer-Tropsch pour les carburants de synthèse, etc.) mais aussi par la nature des intrants utilisés (végétal et organique pour les biocarburants et certains carburants de synthèse, mais aussi de l’eau et du COpour les e-carburants). La Figure 6 résume la diversité de toutes ces options technologiques. On voit apparaitre également toutes les options de kérosène alternatif (en bleu foncé sur le schéma). Si le cas des carburants liquide de roulage est déjà bien complexe, les choses se corsent encore plus quand on aborde le thème des carburants liquides pour le transport aérien….!!!

Figure 6. Schéma simplifié et non exhaustif des options de production de carburants liquides alternatifs pour le transport (routier & aérien majoritairement)

La Figure 6 met ainsi en évidence pas moins de 5 à 6 options de kérosène différentes qui portent toutes des terminologies et des abréviations différentes. Si tel est le cas, c’est parce que la nature des molécules qui composent ces kérosènes est nettement différente, même si les propriétés applicatives et physico-chimiques finales du kérosène sont analogues. Certains kérosènes sont ainsi produits au départ de plantes riches en sucres (comme la canne à sucre) tandis que certains autres types de kérosène se produisent au départ d’huiles (algues, plantes oléagineuses). Certains kérosènes sont produits par le procédé de Fischer-Tropsch et pourrait être obtenus au départ de CO2 et de H2(partie la plus à droite du schéma) tandis que d’autres s’orientent vers l’utilisation de micro-organismes novateurs dans des approches de fermentation (voie biochimique sur le schéma). En fonction des flux de manières premières renouvelables dans certaines zones du globe, certaines entreprises manufacturent donc des kérosènes différents. Par exemple, la Brésil riche en canne à sucre ne produit pas le même type de kérosène que des acteurs industriels spécialisés dans des productions au départ d’algues. Cela explique aussi pourquoi certaines compagnies aériennes décollent avec des kérosènes alternatifs différents.

Si le terme de « kérosène » est donc dans ce cas un terme générique, l’adjectif « vert » qui lui est souvent accolé peut prêter à confusion. En effet, pour le non-expert, on ne sait pas s’il fait référence à la nature « végétale » du matériel utilisé, au fait que ce kérosène émet moins de gaz à effet de serre sur son usage ou sa manufacture, ou à une autre raison plus commerciale. Dans tous les cas, il conviendrait plutôt d’exploiter un terme scientifique rigoureux tel que « kérosène alternatif » ou « kérosène avancé » pour lever la moindre confusion.

En conclusion, la thématique des carburants liquides pour le transport est large, tant d’un point de vue technologique que du point de vue du vocabulaire associé à ces approches technologiques. Utiliser le bon mot dans la bonne circonstance est donc aussi une manière de progresser dans ces débats.

La suite prochainement sur chem4us.be

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Références
[1]Petroleum Refining: Technology and Economics, Fifth Edition, De James H. Gary, Glenn E. Handwerk, Mark J. Kaiser, 2007, CRC Press, 466 pages
[2] Fischer‐Tropsch Refining, Arno de Klerk, 2011, Wiley‐VCH Verlag GmbH & Co. KGaA, 620 pages
[3]https://ntrs.nasa.gov/archive/nasa/casi.ntrs.nasa.gov/20120001775.pdfMars In Situ Resource Utilization Technology Evaluation
[4]Okeke, I. J. and Mani, S. (2017), Techno‐economic assessment of biogas to liquid fuels conversion technology via Fischer‐Tropsch synthesis. Biofuels, Bioprod. Bioref., 11: 472-487.

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