Plastiques biodégradables: et si ce n’était pas une bonne solution pour l’environnement ?

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Les matières plastiques sont omniprésentes dans notre quotidien. Performantes, résistantes et bon marché, elle présentent des propriétés fonctionnelles uniques.

Conçues « pour durer », les matières plastiques ne se dégradent donc pas facilement dans l’environnement. Ceci peut expliquer leur persistance dans les écosystèmes si elles ne sont pas récoltées et recyclées correctement. Elles sont aussi susceptibles de se décomposer en petites particules, connues sous le terme de microplastiques, dont les effets toxiques sont abondamment documentés.

 Pour contourner ce problème, les chercheurs et industriels ont introduit dès les années 70 le concept de « plastiques biodégradables ». Cette nouvelle gamme de plastiques aptes à se dégrader totalement dans les milieux naturels serait donc sans danger sur la faune et la flore et permettrait d’éviter la « pollution plastique ».

Mais est-ce vraiment le cas ? Les plastiques biodégradables sont-ils si inoffensifs sur l’environnement ? Est-ce que ces matériaux sont aussi issus du pétrole ? Sommes-nous aussi bien informés que nous le pensons sur ces notions ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre dans ce dossier.

 

Canada, 1974. Dans la prestigieuse revue scientifique Nature, trois chercheurs affiliés à la Direction des Sciences Marines de Victoria publient les premières données quantitatives relatives à la répartition des goudrons et des déchets plastiques dans les eaux de surface de l’Océan Pacifique.[1] Grâce à des filets spécifiques trainés par un navire de recherche, ces chercheurs vont recueillir des polluants d’origine humaine sous forme de particules. Ils vont les mesurer, les dénombrer, tout au long d’un périple de plus d’un mois qui commence dans le port de Tokyo pour se terminer en Colombie- Britannique après avoir longé la côte Ouest des États-Unis.

Bien que moyennement citée par la communauté scientifique internationale, cette étude va être la première à s’intéresser à ce que le grand public et les médias désignent aujourd’hui sous le terme imagé de « continents de plastiques ». Il s’agit de ces zones maritimes où se concentrent, sous l’effet des courants de surface, des déchets de toutes sortes, incluant des matières plastiques dont la teneur peut atteindre entre 50 et 85% en fonction des zones maritimes concernées.

En 2014, des scientifiques ont examiné de plus près ces déchets flottants de matières plastiques. Sur base de données collectées lors d’une série d’expéditions à travers les océans du monde, ils ont noté que plus de 87% en poids des matières plastiques flottant à la surface des eaux avaient une taille supérieure à 4,75 millimètres.[2] Elles consistaient en des morceaux ou des pièces intactes de filets de pêche, de bouées, de seaux, de bouteilles ou de sacs. Les 13% de la masse restante de plastiques de surface correspondaient à des morceaux de tailles inférieures, parfois microscopiques, et désignés sous le terme de microplastiques (Figure 1). Ceux-ci sont soient issus de la dégradation par l’action des vagues et du soleil de nombreux articles en matières plastiques, soient sont petits dès le départ, comme les « microbilles » qui sont ajoutées à certains produits cosmétiques.[3]

Figure 1. Distribution en poids des résidus macroscopiques et microscopiques dans les écosystèmes marins.

 

Si les détritus plastiques sont annoncés comme de véritables fléaux pour les océans depuis plus de 40 ans, on estime encore assez peu rigoureusement leurs quantités dans l’environnement marin. On peine même à comprendre le point d’entrée de ces plastiques dans la mer et les océans.[4] La seule chose avérée est que les plastiques résiduels (notamment sous des formes microscopiques) se retrouvent aussi dans le sol, dans les sédiments, dans les eaux douces, dans les glaciers, dans les digestats de biométhanisation industrielle[5]  ou dans l’air.[6],[7] Certaines études affirment même que les résidus de matières plastiques composent une strate géologique distinctive qui serait donc un indicateur-clé de l’Anthropocène.[8]

La raison ? Les plastiques sont créés pour durer

Pour comprendre la raison de cette accumulation de matières plastiques dans les écosystèmes, il faut se pencher sur la question de la matière en elle-même. Les matières plastiques conventionnelles (comme le polyéthylène, le PET, le polypropylène, le polystyrène, le PVC, etc.), dès leur production en masse dans les années 40-50, ont été créées pour être résistantes et se substituer à des matériaux tels que le bois ou les métaux. La plupart des plastiques ne se dégradent donc pas facilement. D’ailleurs, ils n’ont jamais été conçus pour se dégrader ! [9]

Si on s’intéresse à la chimie qui se cache derrière les matières plastiques, on se rendra compte que ces matières sont synthétisées en créant des liaisons fortes entre des unités simples appelées monomères (Figure 2). Ces liaisons chimiques sont particulièrement fortes et c’est ce qui explique, notamment, la grande stabilité des matières plastiques dans des environnements différents. A côté de cet aspect purement « moléculaire », les industriels ajoutent des additifs, optimisent l’épaisseur de la matière et sa forme finale pour conférer encore une plus grande stabilité aux objets finis.

Figure 2. Illustration simplifiée de la formation de liaisons entre des unités simples (monomères) pour obtenir un polymère pouvant être mis en forme pour obtenir des objets finis spécifiques.

 

On estime qu’il faut plusieurs années pour que les plastiques que nous utilisons dans notre quotidien se décomposent dans l’environnement. Ce temps nécessaire à leur décomposition varie aussi en fonction des conditions externes comme la température, le taux d’humidité, la présence de rayonnements UV. Une bouteille d’eau en PET se décompose ainsi plus vite dans l’eau salée des océans qu’enfouie dans la terre (Figure 3).[10]

Figure 3. Temps de dégradation (estimés en temps de demi-vie) de certains objets en plastiques dans des environnements distincts.

 

Cette décomposition environnementale est un processus purement chimique où les liaisons qui unissent les monomères vont être rompues par des mécanismes complexes. Cependant, en parallèle à cette décomposition chimique, la matière plastique peut aussi se découper en petits morceaux par l’action des vagues ou par l’abrasion créée par des grains de sables. Cette réduction de taille est plutôt un procédé physique et c’est ce procédé qui est responsable de la formation des fameux microplastiques (Figure 4).

Figure 4. Distinction entre la dégradation chimique environnementale et la décomposition physique du PET (le fameux plastique de nos bouteilles d’eau). Le mécanisme chimique est proposé selon les 3 schémas de dégradation les plus fréquents développés par Chamas et al., 2020

Si le plastique ne se dégrade pas, pourquoi ne pas l’interdire ?

Se passer des matières plastiques est aujourd’hui devenu absolument utopique. Tous les objets de notre quotidien sont faits, en tout ou en partie, de plastiques. On estime que chaque individu sur la planète consomme chaque année environ 140 kilos de plastiques, pour des applications d’emballage, électroniques, médicales, etc.

Pour limiter les effets dus à la pollution par les matières plastiques, les pouvoirs législatifs préconisent plutôt des approches immédiates préventives. A ce titre, le bannissement des plastiques à usage unique est une des stratégies prônées au niveau européen et appliquée en Belgique. Avouons-le, cette stratégie n’est que partiellement efficace étant donné qu’elle ne concerne qu’une infime fraction des matières plastiques que nous utilisons chaque année.[11]

Les scientifiques soutiennent donc de meilleurs appuis aux activités de recyclage. Ils encouragent aussi l’écoconception, à savoir la conception de matières plastiques conçues pour minimiser leur impact environnemental sur l’ensemble de leur chaine de production et pouvant être recyclées de manière optimale et efficace. Dans cette optique d’écoconception, les chercheurs et industriels ont introduit dans les années 70 un nouveau concept : celui des plastiques biodégradables. Ces plastiques, conçus pour se dégrader, ne persisteraient donc pas dans l’environnement.

Hautement attractifs, ces plastiques biodégradables semblent la solution miracle. Pourtant, ils ne représentent aujourd’hui qu’une niche de marché, couvrant moins de 2% de l’offre globale en matières plastiques.[12]

Un plastique biodégradable : de quoi s’agit-il ?

Un matériau biodégradable est, idéalement, une matière qui peut subir une biodégradation. Ceci implique que le matériau, en principe, ne laisse pas de traces visibles dans l’environnement puisqu’il se décompose, grâce aux microorganismes contenus dans l’eau ou le sol, en eau (H2O), dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4) et en biomasse qui peut servir de compost.[13] (Figure 5). Un plastique biodégradable est donc volontairement créé pour se dégrader. C’est la raison pour laquelle ils sont plébiscités pour des usages « à courte durée de vie » comme les emballages alimentaires, les dispositifs pour l’agriculture et la pêche, certains éléments pour le médical, etc.

Figure 5. Cas idéal de la biodégradation complète de matières plastiques biodégradables.

La biodégradabilité d’un plastique est donc une caractéristique qui lui est propre et qui est associée à sa structure chimique. Elle n’a aucun lien avec l’origine (fossile ou renouvelable) du plastique. Même des plastiques issus de ressources fossiles peuvent être biodégradables.[14] (Figure 6).

Figure 6. Illustration de quelques plastiques biodégradables produits à partir de ressources fossiles et renouvelables (liste non exhaustive).

Ces plastiques biodégradables ont donc rapidement séduit le grand public puisqu’ils offrent la promesse d’une alternative plus « durable » aux plastiques traditionnels non dégradables. Oui mais voilà : certains plastiques dits « biodégradables » ne se dégradent pas complètement dans les conditions naturelles. Certains ont même tendance à se désintégrer en microplastiques, même de manière plus rapide que les plastiques conventionnels.[15]  Des études récentes avancent même que les plastiques biodégradables génèrent de plus grandes quantités de microplastiques que leurs homologues non-dégradables.[16] Le risque pour l’environnement de ces plastiques biodégradables serait donc tout aussi important que celui produit par nos plastiques « traditionnels ».

« Biodégradable » : un adjectif qui crée la confusion 

Alors pourquoi prétendre qu’un plastique est biodégradable s’il ne l’est pas complètement ? Et bien tout simplement parce la dégradation complète des plastiques en eau, dioxyde de carbone, méthane et/ou en biomasse, est un phénomène complexe qui dépend de multiples facteurs.

Pour comprendre la complexité de la chose, abordons le cas du PLA, un plastique bien renseigné comme biodégradable. A y regarder de plus près, on se rend compte cependant que le PLA met pourtant plusieurs années à disparaitre complètement dans un environnement naturel comme le sol. En fonction de la forme et de l’épaisseur du matériau fini, cette dégradation complète peut même prendre plus de temps encore.[17] Le PLA se dégrade par contre très bien dans des conditions de compostage industriel, aux alentours d’une température de 56 à 58 °C en présence d’un taux assez élevé de microorganismes. Par contre, le PLA ne se dégrade pas dans les océans, ce qui est problématique. Ceci s’explique par le fait que la température moyenne annuelle de l’eau à la surface de la mer est nettement plus faible et que les espèces microbiennes spécifiques aptes à dégrader le PLA y sont présentes en moindre quantité.[18]

La biodégradation d’un plastique dépend donc d’un certain nombre de variable, dont la température, ou la densité de population microbienne immédiate. C’est la raison pour laquelle les biodégradations complètes de plastiques ne sont obtenues que dans des conditions industrielles strictes et ultra-contrôlées. Un plastique est donc biodégradable uniquement dans des conditions spécifiques bien maitrisées. Le cas échéant, il devient une bombe à retardement pour l’environnement.

Biodégradable : quel impact pour le consommateur ?

Qu’ils se dégradent sous l’action de microorganismes en eau, CO2, méthane, voire même en compost, la gestion des plastiques biodégradables par le consommateur souffre de quelques lacunes. Même si des normes sont exigées par les pouvoirs publics[19], la plupart des plastiques biodégradables finissent leur parcours mélangés aux plastiques traditionnels et intègrent les mêmes voies de traitement en fin de vie (incinération ou recyclage). Les centres industriels de biodégradation/compostage ne courent pas les rues et sont même absents dans de nombreux pays.

Le consommateur est encore plus démuni quand on lui avoue que les plastiques biodégradables qu’il a achetés ne peuvent pas finir leur vie sur le compost dans le fond de son jardin (à part de très, très rares exception).

Loin d’être inutiles, les plastiques biodégradables trouvent néanmoins des applications dans des secteurs tels que l’agriculture ou les activités de pêche. On utilise par exemple des films biodégradables comme feuilles de paillage sur les cultures pour empêcher les mauvaises herbes de pousser et pour conserver l’eau. Ces matériaux biodégradables sont conçus pour se décomposer correctement sur le sol selon des normes bien établies. Au même titre, certains dispositifs de pêche (comme des filets) sont certifiés « biodégradables en milieux marins ». Ceci garantit qu’ils se dégraderont quasi-totalement, en un temps raisonnable, s’ils sont perdus dans les océans.

Les plastiques biodégradables sont aussi appelés à être améliorés par la communauté scientifique. En réfléchissant en amont à leur conception, et à leur fin de vie, ils pourraient offrir des alternatives enfin compétitives et pertinentes.

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Références et notes

[1] WONG, C., GREEN, D. & CRETNEY, W. Quantitative Tar and Plastic Waste Distributions in the Pacific Ocean. Nature 247, 30–32 (1974). https://doi.org/10.1038/247030a0

[2] Eriksen M, Lebreton LCM, Carson HS, Thiel M, Moore CJ, Borerro JC, et al. (2014) Plastic Pollution in the World’s Oceans: More than 5 Trillion Plastic Pieces Weighing over 250,000 Tons Afloat at Sea. PLoS ONE 9(12): e111913. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0111913

[3] Cressey, D. Bottles, bags, ropes and toothbrushes: the struggle to track ocean plastics. Nature 536, 263–265 (2016). https://doi.org/10.1038/536263a

[4] Jambec J (2015) Plastic waste inputs from land into the ocean. Science, Vol. 347, Issue 6223, pp. 768-771. DOI 10.1126/science.1260352

[5] Bandini, F., Taskin, E., Bellotti, G. et al. The treatment of the organic fraction of municipal solid waste (OFMSW) as a possible source of micro- and nano-plastics and bioplastics in agroecosystems: a review. Chem. Biol. Technol. Agric. 9, 4 (2022). https://doi.org/10.1186/s40538-021-00269-w

[6] Hale, R. C., Seeley, M. E., La Guardia, M. J., Mai, L., & Zeng, E. Y. (2020). A Global Perspective on Microplastics. Journal of Geophysical Research: Oceans, 125, e2018JC014719. https://doi.org/10.1029/2018JC014719

[7] Agustina Malizia, A. Carolina Monmany-Garzia, Terrestrial ecologists should stop ignoring plastic pollution in the Anthropocene time, Science of The Total Environment, Volume 668, 2019, Pages 1025-1029,

[8] Jan Zalasiewicz, Colin N. Waters, Juliana A. Ivar do Sul, Patricia L. Corcoran, Anthony D. Barnosky, Alejandro Cearreta, Matt Edgeworth, Agnieszka Gałuszka, Catherine Jeandel, Reinhold Leinfelder, J.R. McNeill, Will Steffen, Colin Summerhayes, Michael Wagreich, Mark Williams, Alexander P. Wolfe, Yasmin Yonan, The geological cycle of plastics and their use as a stratigraphic indicator of the Anthropocene, Anthropocene, Volume 13, 2016, Pages 4-17 https://doi.org/10.1016/j.ancene.2016.01.002.

[9] Koushik Ghosh and Brad H. Jones, Roadmap to Biodegradable Plastics—Current State and Research Needs, ACS Sustainable Chemistry & Engineering 2021 9 (18), 6170-6187

DOI: 10.1021/acssuschemeng.1c00801

[10] Degradation Rates of Plastics in the Environment Ali Chamas, Hyunjin Moon, Jiajia Zheng, Yang Qiu, Tarnuma Tabassum, Jun Hee Jang, Mahdi Abu-Omar, Susannah L. Scott, and Sangwon Suh ACS Sustainable Chemistry & Engineering 2020 8 (9), 3494-3511 DOI: 10.1021/acssuschemeng.9b06635

[11] Wang, ., Yu, J., Lu, Y. et al. Biodegradable microplastics (BMPs): a new cause for concern?. Environ Sci Pollut Res 28, 66511–66518 (2021). https://doi.org/10.1007/s11356-021-16435-4

[12] https://bioplasticsnews.com/2018/07/05/history-of-bioplastics/

[13] Accumulation: The Material Politics of Plastic; Gabrys, G. H., Gabrys, G., Michael, M., Eds; Routledge, London, 2013.  DOI: 10.4324/9780203070215.

[14] V.C. Shruti, Gurusamy Kutralam-Muniasamy, Bioplastics: Missing link in the era of Microplastics,

Science of The Total Environment, Volume 697, 2019, 134139, ISSN 0048-9697,

https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2019.134139.

[15] Meng Qin, Changya Chen, Biao Song, Maocai Shen, Weicheng Cao, Hailan Yang, Guangming Zeng, Jilai Gong, A review of biodegradable plastics to biodegradable microplastics: Another ecological threat to soil environment ?, Journal of Cleaner Production, Volume 312, 2021, 127816,

https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2021.127816.

[16] Xin-Feng Wei, Martin Bohlén, Catrin Lindblad, Mikael Hedenqvist, Aron Hakonen, Microplastics generated from a biodegradable plastic in freshwater and seawater,

Water Research, Volume 198, 2021, 117123, https://doi.org/10.1016/j.watres.2021.117123.

[17] Close H. Yagi, F. Ninomiya, M. Funabashi, M. Kunioka Mesophilic anaerobic biodegradation test and analysis of eubacteria and archaea involved in anaerobic biodegradation of four specified biodegradable polyesters Polym. Degrad. Stab., 110 (2014), pp. 278-283, 10.1016/j.polymdegradstab.2014.08.031

[18] Deroiné M, Le Duigou A, Corre YM, Le Gac PY, Davies P, César G, et al. Accelerated ageing of polylactide in aqueous environments: Comparative study between distilled water and seawater. Polym Degrad Stabil. 2014;108:319–29. 10.1016/j.polymdegradstab.2014.01.020.

[19] https://www.tuv-at.be/fr/green-marks/certifications/ok-biodegradable/

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